Les musulmans du Sri Lanka dans la peur après les attentats de Pâques

Anusha Kumari, au centre, pleure pendant l'inhumation massive pour son mari, ses deux enfants et ses trois frères et sœurs, tous victimes des attentats à la bombe du dimanche de Pâques, à Negombo, au Sri Lanka, le 24 avril 2019.

Musulman du Sri Lanka, Mohamed Hasan est à peine sorti de chez lui depuis les attentats djihadistes qui ont fait près de 360 morts dans l'île lors du dimanche de Pâques, par peur de représailles.

Malgré son emploi à l'extérieur dans une imprimerie, la famille de ce Sri-Lankais de 41 ans le supplie de rester dans leur maison de Colombo, capitale d'une nation sous le choc.

"Ils sont inquiets que si je sors, est-ce que j'en reviendrai vivant ?", déclare-t-il à l'AFP lors d'une rare escapade pour aller prier à la mosquée Jumma du quartier de Dematagoda.

Des kamikazes ont provoqué un carnage dimanche matin dans trois hôtels de luxe et trois églises, en pleine messe de Pâques, à Colombo et ailleurs dans l'île d'Asie du Sud. Les attaques, perpétrées selon les autorités par un mouvement islamiste local, ont été revendiquées par le groupe djihadiste État islamique (EI).

Le bain de sang a horrifié les Sri-Lankais et la communauté internationale. Les organisations musulmanes du pays ont condamné ces attaques, mais nombre de musulmans sri-lankais craignent désormais d'être victimes de vengeance pour ces violences commises au nom d'une interprétation radicale de l'islam.

Zareena Begum, 60 ans, n'a presque pas dormi depuis le week-end. "Je sais que les gens sont en colère contre les musulmans", dit-elle devant la mosquée, en larmes.

"Des bébés portés dans les bras de leur mère ont été tués."

"Je n'aurais jamais imaginé une telle haine dans le coeur des djihadistes. La haine va maintenant semer la haine", confie cette femme vêtue d'une robe noire et d'un foulard, ajoutant : "nous nous terrons à la maison. Nous avons peur de sortir."

Le Sri Lanka est une mosaïque d'ethnies et de religions, à majorité de cinghalais bouddhistes. Les musulmans représentent 10% des 21 millions d'habitants, deuxième minorité la plus importante après les hindous. Les chrétiens constituent 7% de la population.

- "Pas vos ennemis !" -

Le pays est traversé de tensions religieuses et ethniques. Il pense encore les plaies de la guerre civile qui a fait rage pendant quatre décennies entre la majorité cinghalaise et la rébellion indépendantiste tamoule, et qui s'est achevée il y a seulement dix ans.

Des moines bouddhistes radicaux ont mené des campagnes contre la communauté musulmane. En 2013 et 2018, des commerces musulmans ont été attaqués.

Des rumeurs dans la communauté cinghalaise affirmaient même alors que porter un sous-vêtement ou consommer de la nourriture achetés dans un commerce tenu par des musulmans pouvait rendre stérile.

À la suite du massacre, le Premier ministre Ranil Wickremesinghe a appelé au calme et à l'unité du pays.

"La vaste majorité des musulmans condamnent cela et ils sont aussi en colère que les tamouls ou les cinghalais à propos de ce qu'il s'est passé", a-t-il déclaré mardi.

Malgré cela, Hilmy Ahamed, vice-président de l'influent Conseil musulman du Sri Lanka, nourrit des craintes.

"Des centaines de personnes sont enterrées, donc il va y avoir un débordement émotionnel qui pourrait être en partie justifiable", dit-il.

"Nous avons demandé au gouvernement de s'assurer que la sécurité est maintenue. (Ces attentats) n'ont pas été perpétrés par la communauté musulmane mais par quelques éléments marginaux", affirme-t-il.

Avec plusieurs autres responsables musulmans, il a signalé aux autorités locales il y a trois ans leurs inquiétudes quant au leader du mouvement islamiste local National Thowheeth Jama'ath (NTJ), groupe accusé par Colombo d'avoir perpétré les attentats de Pâques.

"Cette personne était un marginal et a radicalisé des jeunes gens sous prétexte de leur enseigner le Coran", explique-t-il. "Mais personne ne pensait ces gens capable de perpétrer une attaque de cette magnitude."

Les musulmans du Sri Lanka veulent seulement la sécurité, demande R.F. Ameer à la mosquée.

"Nous vivons dans une peur constante, car si quelqu'un nous voit portant la calotte ils vont nous percevoir comme leurs ennemis", déplore-t-il.

"Mais nous voulons dire à tout le monde : +Nous ne sommes pas vos ennemis !+. Ceci est notre terre natale, c'est connu comme la perle de l'Asie. Nous voulons que cela reste ainsi."