Le couvre-feu fait tarir les revenus des travailleuses du sexe du Malawi

Un commerçant malawite compte son argent alors qu'il vend du maïs près de la capitale Lilongwe, au Malawi, le 1er février 2016.

Le Syndicat des travailleuses du sexe milite pour l'ouverture des bars jusqu'à minuit.

Sans sommation, la police dégage à coup de gaz lacrymogène les derniers traînards devant les bars d'un township de Lilongwe, imposant le couvre-feu. "Comment je gagne ma vie, moi?", lance Yvonne, travailleuse du sexe âgée de 25 ans.

Son établissement est installé, à dessein, à deux pas d'un des bistrots les plus fréquentés de la zone 25, dans la capitale du Malawi. Mais depuis les restrictions liées au Covid et les descentes quotidiennes de police, pneus crissant, pour les faire respecter, les clients filent dès 20H00.

"Mon travail commence à la tombée de la nuit, à l'heure où ils chassent tout le monde", soupire la jeune femme moulée dans une robe rouge, dreadlocks blonds pour souligner son teint clair, attablée devant un soda avec une copine. Pas les moyens de s'offrir quelque chose de plus fort ces temps-ci...

Parmi les pays les plus pauvres du monde, le Malawi était jusqu'en janvier un des derniers à ne pas avoir opté pour un confinement pour lutter contre la pandémie.

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La justice avait interdit en avril de telles restrictions, pour sauver une économie fragile, essentiellement basée sur le secteur informel. Mais en début d'année, face à une flambée de contaminations, le président Lazarus Chakwera -- un ancien pasteur évangélique -- a ordonné un couvre-feu nocturne, limité les ventes d'alcool et fermé les écoles pendant trois semaines.

Selon les chiffres officiels, le Malawi compte près de 33.000 cas et un bon millier de morts, pour 18 millions d'habitants.

Le mois dernier, des dizaines de travailleuses du sexe sont descendues dans les rues pour protester contre les restrictions sanitaires, qui les privent de leur gagne-pain. "C'est injuste, à cause des nouvelles règles, nous ne gagnons plus d'argent", accusent-elles.

"Nous envoyons nos enfants à l'école avec cet argent"

"La prostitution, c'est un vrai travail. Nous payons nos factures, nos loyers, nous envoyons nos enfants à l'école avec cet argent", explique Zinenani Majawa, du Syndicat des travailleuses du sexe.

Selon l'organisation, qui milite pour une ouverture des bars étendue jusqu'à minuit et aux week-ends, le pays compte plus de 20.000 prostituées. Dans ce petit pays d'Afrique australe, la loi réprime le proxénétisme mais pas la prostitution.

À Chipoka, ville portuaire autrefois florissante sur les bords du lac Malawi, Joyce, 58 ans, raconte à l'AFP avoir connu des hauts et des bas au cours de ses 33 ans de vie de travailleuse du sexe. Mais rien comparé aux problèmes engendrés par la pandémie.

"Nous avons des enfants à nourrir. Nous devons nous laver et nettoyer nos vêtements. Comment allons-nous acheter du savon si les bars continuent à fermer à 20H00 ?", s'angoisse-t-elle.

"Où va-t-on trouver des clients ?", renchérit Martha Mzumara, une autre prostituée.

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Mais difficile dans ce pays conservateur d'imaginer que les prostituées soient au-dessus des lois.

"Je les trouve un peu égoïstes. De nombreuses entreprises ont été affectées, plusieurs ont fermé. Nous avons de la chance au Malawi que des bars soient même ouverts", juge Madalitso Banda, de la Coalition des défenseurs des droits de l'Homme.

L'association des avocats du pays, la Law Society, estime les règles "justifiées" dans un contexte de pandémie mondiale. "Certains droits peuvent être limités pour que d'autres soient sauvegardés", avance sa responsable Martha Kaukonde.