Les autorités nigérianes s'étaient engagées à prendre en charge les années de lycée et les études supérieures des filles qui s'étaient échappées juste après leur enlèvement, mais Saraya n'a jamais pu rejoindre la faculté de droit.
Dans le nord-est du Nigeria, région rurale extrêmement pauvre, dévastée par l'insurrection jihadiste depuis près de dix ans, seules 8% des filles suivent et terminent un enseignement secondaire, selon une enquête nationale de 2013.
"Nous nous sentons extrêmement mal et abandonnées, notre avenir est en suspens", confie à l'AFP Saraya Amos, 19 ans, jointe au téléphone depuis Chibok, dans le nord-est du Nigeria.
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"Les chances que nous puissions poursuivre nos études sont minces", poursuit-elle. "Depuis que nous avons terminé le lycée l'an dernier nous restons à la maison sans rien faire et le gouvernement n'a même pas essayé de nous contacter".
Le 14 avril 2014, des hommes armés ont pris d'assaut l'internat pour filles du lycée de Chibok, dans l'Etat de Borno, alors en pleine semaine d'examen du baccalauréat, obligeant 276 élèves à grimper dans des camions avant de s'enfoncer en brousse.
Cet enlèvement de masse, qui a provoqué une vague d'indignation mondiale, est devenu le symbole des exactions commises par le groupe jihadiste, qui a fait 20.000 morts et 2,6 millions de déplacés dans le nord-est depuis 2009.
Juste après le rapt, 57 otages réussiront à s'échapper, en sautant des véhicules en marche et à rentrer chez elles, tandis que 219 resteront aux mains de Boko Haram.
Le gouvernement du Borno promet alors d'assurer la scolarité des rescapées jusqu'à l'obtention d'un diplôme universitaire, à condition qu'elles recommencent leurs trois années de lycée dans d'autres établissements.
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Sur les 57, trois se sont envolées pour les Etats-Unis grâce un organisme de charité chrétien, tandis que les 54 autres ont été admises dans deux lycées privés nigérians: 41 chrétiennes à Jos (centre) et 13 musulmanes à Katsina (nord).
- Mariages -
Selon Yakubu Nkeki, président de l'association des parents de Chibok, les filles ont été "abandonnées" par le gouvernement "qui n'a pas tenu toutes ses promesses", en arrêtant de payer les frais de scolarité dès la fin du lycée.
D'autre part, "les parents sont pauvres, ils ne peuvent pas se permettre d'envoyer leurs filles à l'école" trois années de plus, avec toutes les dépenses auxiliaires - transport, nourriture... - que cela suppose, dit-il avec amertume.
Le ministère de l'Education du Borno s'était engagé à allouer 1,5 million de nairas (3.400 euros) par an à chaque élève jusqu'à ce qu'elle termine l'université: une somme qui n'a jamais été versée selon les parents des jeunes filles. Contactées par l'AFP, les autorités n'ont pas donné suite.
Résultat, 17 d'entre elles ont du abandonner le lycée avant même d'obtenir leur diplôme.
"Nos parents ont tenté de vendre leurs produits agricoles et du bétail pour nous acheter suffisamment de provisions", explique Hadiza Fali, 20 ans, qui souhaitait être ingénieur et passe désormais ses journées à cultiver le champ familial.
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Les parents de trois des filles envoyées à Katsina ne pouvaient plus payer le transport de 12.000 nairas (27 euros) chaque semaine pour rejoindre leur internat, situé à quelque 700 kilomètres de chez elles.
"L'une d'entre elles s'est mariée et les deux autres sont en train de préparer leurs mariages", raconte Yagana Yamane, 18 ans, qui se demande elle aussi ce qu'elle va bien pouvoir devenir, si elle n'entre pas à l'université.
Dans les trois années qui ont suivi l'enlèvement de masse, un total de 107 lycéennes ont pu être retrouvées, secourues ou échangées suite à des négociations entre le gouvernement et leurs ravisseurs.
Les anciennes captives, contrairement à leurs 57 camarades, ont été prises en charge par le gouvernement fédéral à leur libération. Toutes ont pu rejoindre l'Université américaine de Yola (nord-est), un établissement privé prestigieux unique dans le nord du Nigeria.
"Je me sens seulement déçue et traitée comme une citoyenne de seconde classe", explique Hadiza Fali, qui ne comprend pas pourquoi une telle différence de traitement. "J'aurais tellement voulu continuer mes études".
Avec AFP