Aujourd'hui, le voilà confronté, comme de nombreux autres petits producteurs du Malawi, à la pire crise de sa carrière: la pandémie de coronavirus.
"Cette saison est vraiment la plus difficile que j'ai jamais connue", résume-t-il. "Je n'ai même plus envie de continuer. Même ma famille a menacé de ne plus m'aider dans les champs si je persistais avec le tabac."
Selon le Centre d'investissement et de commerce (MITC) malawite, le tabac constitue la principale source d'emplois et de devises étrangères du pays et contribue à un quart de ses recettes fiscales.
Lire aussi : Malawi: le chef de l'opposition convaincu que son heure a sonnéLa vente de feuilles brutes de variété Burley, dont le Malawi produit 6,6% du total mondial, lui a rapporté 232 millions de dollars en 2017, selon sa Banque centrale.
Alors quand ses 50.000 producteurs souffrent, c'est tout le pays qui s'inquiète.
Il y a six mois, la décision des Etats-Unis de geler leurs importations de tabac malawite pour cause de soupçons de recours au travail des enfants a agi comme un coup de semonce. Le Covid-19 menace désormais d'être fatal à de nombreux petits producteurs.
Lorsque le premier cas d'infection a été rapporté au Malawi en avril, Boniface Namate se croyait à l'abri. Sa parcelle de Ntcheu (sud) venait de lui offrir sa meilleure récolte.
- Revenus en baisse -
Ses ennuis ont commencé lorsque les autorités ont informé les producteurs qu'ils ne pourraient pas, par précaution sanitaire, se rendre aux ventes aux enchères. Et quand il a touché l'argent de ses premiers ballots vendus, son inquiétude a viré au cauchemar.
"J'avais envoyé 1.116 kilos de feuilles dont j'espérais tirer 1,1 million de kwachas (1.500 dollars) au prix du marché", raconte le producteur, "je n'en ai tiré que 400.000 kwachas".
"J'étais abattu, j'avais prévu tant de choses avec cet argent", poursuit Boniface Namate. "Mes deux filles doivent finir l'école cette année, et puis je voulais acheter une maison à ma femme et même une voiture."
C'est raté. Au lieu des 6.000 dollars qu'il comptait empocher en début de saison, il n'espère plus en gagner que 1.500 au mieux.
A la tête d'une grande exploitation à Rumphi (nord), son collègue Alick Munthali lui non plus ne décolère pas contre la baisse de ses revenus.
"Quand les enchères débutent, la présence des vendeurs n'est plus autorisée. De sorte qu'on ne sait pas combien le tabac est coté et on ne peut pas négocier les prix avec l'acheteur", s'indigne le producteur.
Patronne de l'Association des petits producteurs du Malawi, Betty Chinyamunyamu explique que l'apparition du Covid-19 a bouleversé les règles de transaction.
"Nous n'opérons pas normalement dans la mesure où il n'y a pas de relation directe entre vendeurs et acheteurs", dit-elle, "c'est un problème de confiance".
- Appel à l'aide -
La principale plateforme de ventes du tabac, Auction Holdings Limited, dément fermement que les acheteurs aient profité de la crise.
Sa porte-parole Theresa Ndanga attribue la baisse des ventes à la mise en place, à cause de la crise sanitaire, d'un nouveau système d'enchères. "On a vendu au début moins de ballots de tabac que d'habitude", concède-t-elle, "mais nous rattrapons notre retard".
"Les prix sont en fait plus hauts que l'an dernier", assure même Theresa Ndanga, "le chiffre d'affaires est quasiment identique à celui de l'an passé".
Les sept premières semaines de ventes ont ainsi généré un chiffres d'affaires de 62,3 millions de dollars, à peine moins que les 62,9 millions réalisés pendant la même période de 2019.
Les petits producteurs n'en croient pas un mot. "On estime avoir été roulés, il est évident que les prix ont baissé alors que la récolte est meilleure", répète Patrick Banda, de la région de Mchinji (ouest).
Candidat de l'opposition à la présidentielle du 23 juin face au sortant Peter Mutharika, Lazarus Chakwera a promis de venir en aide aux petits producteurs de tabac.
"Les producteurs ont été abusés", a déclaré à l'AFP le candidat du Parti du Congrès du Malawi (MCP). "Nous voulons faire des producteurs les premiers bénéficiaires d'un système qui récompenserait justement leur travail".
"On prie pour que le prochain gouvernement vienne s'occuper de nos intérêts", espère Patrick Banda. "Parce que si l'industrie du tabac s'écroule, c'est toute l'économie du pays qui fera aussitôt de même."