Massacre de civils camerounais en février: le procès doit être ouvert au public, selon les familles des victimes

Des soldats patrouillent à Bafut, dans la région anglophone du nord-ouest du Cameroun, en novembre 2017. (Photo AFP)

Les réactions affluent après que la présidence du Cameroun a admis mercredi l’implication des militaires et d’un groupe d’auto-défense dans le meurtre d’une dizaine de civils dans le quartier Ngarbuh du village Ntumbuw, dans la région du nord-ouest, en zone anglophone.

Le président camerounais Paul Biya a ordonné l'arrestation de trois éléments des forces de défense, ainsi que de dix des miliciens non encore identifiés. Les trois militaires, déjà à la disposition du Tribunal militaire de Yaoundé, sont accusés d'avoir incendié les maisons des civils à Ngarbuh pour tenter de dissimuler la mort de trois femmes et dix enfants tombés sous leurs balles.

"C’est une victoire pour notre mouvement, pour tous les défenseurs des droits de l’homme, tous les partis politiques, toutes les femmes et tous les hommes qui se sont mis en noir le 8 mars dernier pour revendiquer justice", commente Edith Kah Walla, membre de l’opposition et dirigeante du mouvement Stand up for Cameroon.

En février dernier, elle avait appelé le gouvernement à rétablir la vérité sur le massacre des civils en zone anglophone.

Des zones d'ombre

Cependant, l’opposante relève que des zones d’ombre persistent à la lecture des conclusions de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les évènements de Ngarbuh, dans la nuit du 13 au 14 février 2020.

"Une armée n’est qu’un instrument d’un gouvernement, elle ne décide pas du degré de force qu’elle utilise sur le terrain. Ces décisions sont prises par les politiques et nous voyons dans cette décision que les politiques se sont épargnés", fait remarquer la coordonnatrice de Stand up for Cameroon.

En 2011, elle s'était présentée à l'élection présidentielle du Cameroun.

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Dans un rapport publié le 16 février 2020, le Centre des droits de l’homme pour la démocratie en Afrique, avait déjà accusé les militaires camerounais d’avoir commis des exactions sur les civils à Ngarbuh.

Menacé de poursuites judiciaires par les autorités après la publication de ce rapport, l’avocat Agbor Bala Nkongho qui coordonne les activités de cette ONG confie à VOA Afrique, "les recommandations de la commission sont très satisfaisantes pour moi, je suis très content".

L’avocat suggère à "l’Etat de rassurer que le procès sera équitable, et ouvert au public. Nous voulons que les représentants des victimes participent à ce procès, ça va les aider durant ce procès, le gouvernement devra leur fournir les moyens financiers pour qu’ils se déplacent à Yaoundé, qu’ils accèdent au tribunal militaire pour assister au procès".

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Au départ, trois membres du gouvernement -- à savoir les ministres de la communication, de la défense et de l’administration territoriale -- avaient nié l’implication de l’armée dans la mort des femmes et des enfants à Ngarbuh.

Le revirement de mercredi, même s'il est le bienvenu, suscite des interrogations sur la crédibilité des hauts fonctionnaires camerounais.

"Est-ce que ceux qui nous parlent ont souvent mandat de représenter la présidence de la république ? Est-ce qu’ils sont véritablement envoyés ? C’est un manque d’organisation qui ne crédibilise plus à la fin la communication gouvernementale", s’interroge un jeune employé du secteur privé à Yaoundé.

Mais pour les partisans du président Paul Biya, l'essentiel est sauf. Ils estiment que les décisions du président renforcent l’État de droit au Cameroun.

"Je tire un coup de chapeau aux agents de l’Etat qui ont permis que les Camerounais sachent la vérité de cette affaire. Que ce soit l’armée ou les civils, nous sommes tous appelés à respecter la loi. Si nous étions dans un Etat dictatorial je ne sais pas si on aurait demandé que ces corps soient exhumés pour qu’ils soient enterrés avec plus de dignité", affirme Jean Baptiste.

L’ambassade des Etats-Unis au Cameroun a salué la tournure récente des événements.

"Nous nous réjouissons de la démarche de transparence à propos de l'attaque du 14 février à Ngarbuh, avec la publication du rapport d'enquête. Nous accueillons la décision de demander des comptes aux personnes soupçonnées d’avoir mené cette action et d’avoir tenté de la dissimuler", lit-on sur son compte Twitter.

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