Une foule comme l'île Maurice n'en avait pas vue depuis près de 40 ans - entre 50.000 et 75.000 personnes selon les estimations des organisateurs et de la presse locale - a pris d'assaut en fin de matinée la place de la cathédrale, en plein cœur de la capitale, a constaté un journaliste de l'AFP.
Le cortège, rassemblant toutes les composantes de la société mauricienne dont beaucoup de femmes et de jeunes, et très largement vêtu de noir pour évoquer les ravages de la fuite de fioul, a ensuite défilé pour exprimer son mécontentement face à ses graves conséquences écologiques et économiques.
Lire aussi : Une vingtaine de dauphins échoués sur les côtes de l'île Maurice"Cette manifestation est l'occasion d'envoyer un message (au Premier ministre) Pravind Jugnauth pour lui dire qu'il a fauté dans la façon de gérer le naufrage du Wakashio", a déclaré à l'AFP Jocelyne Leung, 35 ans, une employée de bureau.
Le vraquier japonais MV Wakashio s'est échoué le 25 juillet sur un récif à Pointe d'Esny, au sud-est de l'île. Trois semaines plus tard, l'épave s'est brisée en deux, après une course contre la montre pour pomper le carburant qu'elle contenait.
Entre-temps, le navire a laissé échapper au moins 1.000 tonnes de fioul qui ont souillé la côte - notamment des espaces protégés abritant des forêts de mangrove et des espèces menacées - et les eaux cristallines prisées des touristes.
Aucun rassemblement n'avait réuni autant de monde sur l'île depuis le meeting ayant suivi la victoire de l'opposition aux législatives de 1982. Cet événement avait marqué la fin de l'ère Seewoosagur Ramgoolam, qui avait conduit l'ex-colonie britannique à l'indépendance en 1968 avant d'en devenir le premier chef de gouvernement.
"C'est la première fois qu'une manifestation citoyenne rassemble une foule aussi importante", a expliqué à l'AFP Ajay Gunness, le chef adjoint du Mouvement militant mauricien (MMM), un parti d'opposition, soulignant qu'en 1982 il s'agissait d'un "rassemblement politique".
Si les rassemblements publics à Maurice sont généralement partisans, la marche se voulait cette fois-ci apolitique, même si des dirigeants d'opposition y ont participé.
- Dauphins morts -
Arborant pour beaucoup le drapeau mauricien, les manifestants ont entonné l'hymne national pour insister sur le patriotisme de leur démarche, que le gouvernement avait par avance tenté de discréditer.
Les manifestants ont appelé Pravind Jugnauth à la démission, avec le slogan en créole "Lév paké aller" (quitte le pouvoir). De nombreux Mauriciens estiment que le gouvernement a trop tardé à prendre la mesure de la catastrophe et à organiser le pompage du fioul.
Cet archipel de l'océan Indien, avec ses 1,3 million d'habitants, dépend de ses eaux pour sa sécurité alimentaire, basée sur la pêche, et pour l'écotourisme, dans une zone qui compte parmi les plus beaux récifs coralliens du monde.
Le Premier ministre, au pouvoir depuis 2017, a jugé n'avoir commis aucune erreur et a refusé de présenter des excuses.
Plus largement, les manifestants ont aussi dénoncé la corruption, les inégalités sociales, la mainmise sur le pouvoir de certaines familles et un régime perçu comme de plus en plus autoritaire.
La marche a été organisée à l'appel d'un simple citoyen, Jean Bruneau Laurette, devenu un héros aux yeux de nombre de ses compatriotes pour avoir osé s'opposer à Pravind Jugnauth.
Cet expert en sécurité maritime, qui estime que le gouvernement a caché la vérité sur les circonstances de la marée noire, a aussi porté plainte contre les ministres de l'Économie bleue et de l'Environnement.
La colère des Mauriciens a été exacerbée par la découverte cette semaine d'au moins 34 - selon une source au sein des gardes-côtes - dauphins d'Electre échoués morts ou agonisants sur la côte sud-est de l'île, à quelques kilomètres du lieu du naufrage.
La population a inévitablement fait le lien entre les deux incidents même si, selon les premières conclusions communiquées par le gouvernement, les autopsies n'ont montré aucune trace d'hydrocarbure dans les organismes des dauphins.
D'autres analyses bactériologiques et toxicologiques seront toutefois nécessaires pour exclure définitivement tout lien direct avec la marée noire ou l'immersion au large de la proue du bateau.