Moscou poursuit son offensive et insiste sur la neutralité de l'Ukraine

Les bombardements russes sur de nombreuses régions d'Ukraine ont poussé sur les routes plus de trois millions d'Ukrainiens.

Un statut de neutralité pour l'Ukraine est au coeur des pourparlers russo-ukrainiens, a affirmé mercredi le Kremlin, qui poursuit parallèlement son offensive en bombardant de nombreuses villes ukrainiennes.

Les pourparlers se déroulent alors que le président ukrainien Volodymyr Zelensky doit intervenir vers 13H00 GMT devant le Congrès américain, et que le président Joe Bien doit annoncer 800 millions de dollars supplémentaires d'assistance sécuritaire pour aider l'Ukraine à affronter les forces russes.

Trois semaines après le début de l'invasion russe de l'Ukraine, une neutralité de cette ex-république soviétique sur le modèle de la Suède et de l'Autriche, est "le compromis" que négociateurs russes et ukrainiens "discutent actuellement", a affirmé le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov."

"Il y a des formules très concrètes qui je pense sont proches d'un accord", a estimé aussi le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, tout en relevant que les pourparlers "ne sont pas faciles".

Le négociateur-en-chef ukrainien a cependant souligné que Kiev rejetait "un modèle suédois ou autrichien" et réclamait des "garanties de sécurité absolues" face à la Russie, dont les signataires s'engageraient à intervenir du côté de l'Ukraine en cas d'agression.

"L'Ukraine est maintenant en état de guerre directe avec la Russie. Par conséquent, le modèle ne peut être qu'"ukrainien"", a déclaré Mykhaïlo Podoliak sur son compte Telegram. Ces déclarations interviennent alors que les délégations ont repris depuis lundi des pourparlers en visioconférence.

Le président Zelensky avait estimé dans la nuit de mardi que les positions étaient désormais "plus réalistes", même s'il faudra "encore du temps pour que les décisions soient dans l'intérêt de l'Ukraine." Il s'était dit auparavant prêt à renoncer à toute adhésion de son pays à l'Otan, un casus belli pour la Russie.

Frappe sur Zaporojie, ville-refuge

Cette apparente intensification des négociations n'empêche pas la poursuite des bombardements russes sur de nombreuses régions du pays, qui ont poussé sur les routes plus de trois millions d'Ukrainiens – dont près de la moitié d'enfants. La capitale Kiev est sous couvre-feu depuis mardi 20H00 (18H00 GMT) et jusqu'à jeudi 07H00, après que plusieurs frappes eurent touché des immeubles d'habitation lundi et mardi.

Plusieurs explosions ont à nouveau été entendues à l'aube mercredi, a constaté l'AFP. D'épaisses colonnes de fumées noires s'élevaient peu après au-dessus de la ville, comme la veille, où plusieurs frappes russes avaient touché des immeubles d'habitation, faisant au moins quatre morts.

Les autorités locales n'ont fourni aucun bilan ni précisions dans l'immédiat. Avec le couvre-feu, les journalistes ne sont plus autorisés à circuler dans la ville. Le maire Vitali Klitchko a estimé mardi que la capitale traversait un "moment dangereux".

"Nous tenons le coup", assurait mardi, avant le couvre-feu, Vlad Volodko, 26 ans, devant un supermarché où les habitants formaient de longues files d'attente afin de faire des réserves.

Kiev, que les forces russes tentent d'encercler, s'est vidée d'au moins la moitié de sa population de 3,5 millions habitants depuis le début du conflit le 24 février. Des métropoles comme Kharkiv (nord-est) et Marioupol (sud-est) sont bombardées sans répit, selon les autorités locales.

Des milliers de personnes restent coincées à Marioupol, terrées dans des caves, même si quelque 20.000 personnes ont pu mardi quitter ce port stratégique sur la mer d'Azov assiégé depuis des jours, en direction de Zaporojie, à plus de 200 km au nord-ouest. Tous ont décrit un voyage harassant pour éviter troupes russes et points de contrôle, dans la crainte permanente d'un tir ennemi.

Et Zaporojie pourrait ne plus rester longtemps un refuge: la gare a été touchée mercredi par au moins un missile, pour la première fois depuis le début du conflit le 24 février, selon le gouverneur régional, apparemment sans faire de victime. C'est dans cette région que se trouve la plus grande centrale nucléaire d'Europe, que les Russes occupent depuis le 4 mars.

Les autorités ukrainiennes affirment aussi que les Russes ont pris mardi 400 civils en otage dans un hôpital de Marioupol, mais l'information n'a pas pu être vérifiée de source indépendante.

Zelensky devant le Congrès

De nombreuses autres régions sont sous le feu russe, comme celle de Mykolaïv (sud), proche d'Odessa. A Odessa même, épargnée pour l'instant, les autorités ukrainiennes disent "se préparer à un débarquement des troupes russes depuis la mer Noire". Les autorités des régions de Jytomyr (sud de Kiev), Soumy (nord-est), Dnipro (centre) et Severodonetsk (est) disent aussi être sous le feu russe.

Face à la poursuite de l'offensive, Volodymyr Zelensky devrait appeler à nouveau à l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de son pays dans son adresse au Congrès américain par vidéo.

Le président américain Joe Biden a pour l'instant rejeté cette demande, de peur de voir les Etats-Unis et l'Otan entraînés dans le conflit. Mais il devrait annoncer une nouvelle assistance sécuritaire de 800 millions de dollars pour aider Kiev.

Médiation turque

Sur le front diplomatique, la Turquie, pays membre de l'Otan mais ayant refusé de s'associer aux sanctions contre Moscou, poursuit ses efforts de médiation. Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu était à Moscou mercredi, et doit se rendre le lendemain en Ukraine.

Il succédera aux Premiers ministres polonais, tchèque et slovène. MM. Mateusz Morawiecki, Petr Fiala et Janez Jansa, qui se sont rendus mardi à Kiev, après un long périple en train, pour assurer le président ukrainien de leur soutien.

"Nous ne vous laisserons jamais seuls. Nous serons avec vous parce que nous savons que vous vous battez non seulement pour votre liberté, pour votre propre maison et pour votre sécurité, mais aussi pour nous", a déclaré sur Twitter M. Morawiecki, avant de rentrer mercredi à Varsovie.

Parallèlement, la Pologne a réclamé la mise en place d'une "mission de paix" de l'Otan, "protégée par les forces armées" pour venir en aide à l'Ukraine. Le sujet pourrait être abordé lors du sommet extraordinaire de l'Otan prévu le 24 mars à Bruxelles, où Joe Biden se rendra.

Contre-sanctions

A défaut d'intervenir militairement directement, les Occidentaux continuent de fournir des armes à l'Ukraine et de durcir leurs sanctions.

L'Union européenne va priver les oligarques russes de berlines de luxe, champagne et autres articles haut de gamme, via un quatrième paquet de sanctions entré en vigueur mardi. Le Royaume-Uni a fait de même, ajoutant des droits de douane punitifs sur la vodka et des gels d'avoirs supplémentaires.

Moscou a répliqué avec des contre-sanctions visant Joe Biden, le Premier ministre canadien Justin Trudeau et plusieurs membres de leurs gouvernements. La Cour internationale de justice (CIJ) doit rendre de son côté mercredi son verdict dans une procédure lancée par Kiev, qui demande au plus haut tribunal de l'ONU d'ordonner à Moscou d'arrêter immédiatement son invasion.

La Russie cherche de son côté à faire avancer un projet de résolution "humanitaire" devant le Conseil de sécurité de l'ONU, qui pourrait faire l'objet d'un vote jeudi. Le texte russe, obtenu par l'AFP, exprime la "profonde préoccupation" du Conseil de sécurité "face aux informations faisant état de victimes civiles, y compris d'enfants, en Ukraine et dans les environs".

Mais il est peu probable qu'il recueille les voix nécessaires. Ce texte, qui "n'appelle pas à une fin immédiate des hostilités", est "une plaisanterie", a réagi un diplomate occidental sous couvert d'anonymat.