Une fillette observe, par dessus le mur de sa maison, les blindés et les longs canons des mitrailleuses annonçant l'arrivée samedi dans la ville du président nigérien Mohamed Bazoum, cinq jours après le massacre. Le maire de Banibangou, Oumarou Bobo, un militaire à la retraite, figure parmi les morts.
Dans des ruelles sinueuses, surveillées par des soldats armes au poing, de petits groupes de femmes, enveloppées dans de grands voiles multicolores, ruminent leur douleur.
Le 2 novembre, 84 membres d'un Comité de vigilance (milice d'autodéfense) issus de plusieurs villages du territoire de la commune, avec le maire à leur tête, sont attaqués près du village de Adab-Dab, à une cinquantaine de km au nord-ouest de Banibangou.
Le Comité avait décidé de traquer jusque dans leur repaire de Adab-Dab des hommes armés qui attaquent les villages et volent le bétail, ont affirmé à l'AFP des habitants.
Flottant dans un grand boubou blanc, coiffé d'un bonnet rouge et petites lunettes, le cheik Saïdou Garbèye, très populaire guide religieux local, fait partie des 15 rescapés. Il entame son témoignage après avoir récité quelques versets du coran: "le maire de Banibangou, qui est mon oncle, avait décidé d'aller à la recherche de Tchinbado, un indicateur (des jihadistes). Je lui avais prêté main forte avec des jeunes du comité de vigilance", raconte à l'AFP le cheikh.
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"Armés de lance-pierres"
De temps en temps, il jette un oeil vers un gendarme en treillis qui prend note de son récit. "Nous avions fait une prière et nous avions pris le chemin de Adab-Dab. Malheureusement, des bandits nous ont aperçu du haut d'une colline, ils se sont précipités vers nous et ont ouvert le feu, tuant un bon nombre de nos hommes", poursuit-t-il.
Les membres du comité "n'étaient armés que de leur courage, de flèches et de lance-pierres", les jihadistes, eux, "possèdent des armes que même nos soldats ne possèdent pas", relève-t-il.
C'est la première offensive audacieuse du genre lancée par les comités contre des jihadistes depuis leur mise sur pied il y a quelques mois.
"Des civils mal équipés, sous-entraînés ne pouvaient défaire des jihadistes qui défient mêmes nos armées nationales", relève un journaliste local.
"Nos enfants sont partis défendre leurs villages, ils sont morts, c'est triste, ce sont des martyrs", confie Mariama, croisée devant la préfecture où le président nigérien doit s'adresser aux habitants de Banibangou.
Les yeux remplis de larmes, Habsatou Ali, une employée municipale est encore sous le choc. "Il ne fait plus bon vivre à Banibangou: il y a la faim, il y a la soif. Les femmes et les enfants sont particulièrement dans la tourmente", s'indigne-t-elle. "On ne dort plus, chaque jour, vous entendez: 'on a aperçu des colonnes de motos, ils arrivent !'", se lamente-t-elle.
La voix étouffée par les puissants hauts-parleurs, Zakari Alfa, qui a perdu "un proche" dans la tuerie, "prie pour qu'Allah exorcise la malédiction qui s'abat sur Banibangou". "Les bandits nous terrorisent trop: on nous tue, on nous braque, on nous vole, on nous torture et nous ne connaissons toujours pas les raisons. A quand la paix ici ?", peste Kallam Tinni, chef de Sabara-Deye, un village satellite de Banibangou.
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"Comptez sur l'armée"
Depuis le début de l'année, des jihadistes armés liés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique (EI) multiplient les assauts sanglants contre des civils dans la zone de Banibangou et des communes de la région de Tillabéri région immense et instable de 100.000 km2 dans la zone dite "des trois frontières" entre Niger, Burkina Faso et Mali, faisant des centaines de morts.
Pour prévenir la prolifération des milices armées, le président nigérien a demandé samedi aux habitants de Banibangou de "compter sur l'armée du Niger" dont "le travail est d'assurer" leur "sécurité".
"Je comprends que vous ne soyez pas satisfaits de notre rendement, de nos performances. Si vous pensez que pouvez assurer votre défense c'est légitime, mais celui qui doit assurer votre défense et sur lequel vous devez compter c'est l'Etat", a-t-il déclaré. "Nous avons déployé des forces, mais l'espace est vaste et les sollicitations sont nombreuses", a insisté le chef de l'Etat qui a demandé aux populations de "surtout éviter que cela dégrade la relation entre les communautés" locales.
"Dorénavant, nous laissons le terrain aux soldats. Nos comités de vigilance vont garder nos villages, nos maisons et nos mosquées où on vient nous tuer", promet le cheik Saïdou Garbèye.