Niger: haro sur les bandits à la frontière avec le Nigeria

Une vue générale d'une rue principale de Maradi, près de la frontière avec le Nigeria, le 2 novembre 2022.

Messaouda n'a pas trente ans mais peut déjà témoigner de ce que la vie peut offrir de plus terrible. Durant dix-neuf jours l'an passé, elle a été séquestrée et violée par des bandits dans une forêt entre Niger et Nigeria.

Elle a été enlevée dans la région de Maradi, dans le sud du Niger, "au petit soir à un moment où une tornade de pluie tombait", raconte-elle début novembre à l'AFP à Madarounfa.

Avec ses deux co-épouses et ses enfants en bas âge, Messaouda a été emmenée par ses ravisseurs au Nigeria voisin. Les geôliers "montaient sur nous" quand ils le souhaitaient, raconte-elle. Elles ont été libérées contre deux millions de francs CFA (environ 3.000 euros).

Son récit fait écho à des milliers d'autres au Nigeria où des hommes armés, appelés bandits, font régner la terreur dans les brousses du nord. Dans le sud du Niger, la situation reste contenue mais se dégrade et inquiète.

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Quelque 94.000 Nigérians ont fui à Maradi depuis 2019 et 19.000 Nigériens y ont abandonné leur foyer. Les rapts et les attaques se multiplient, l'armement devient plus sophistiqué: trois policiers ont encore été tués début novembre à Madarounfa.
Cela devient "vraiment préoccupant", assure le gouverneur Chaibou Aboubacar.

Coincé entre le lac Tchad en proie à l'hydre de Boko Haram et le Sahel central pris dans la tourmente jihadiste depuis dix ans, le sud du Niger capte moins l'attention. Une démographie galopante, une double crise alimentaire et climatique, une population pauvre et très jeune en manque d'emplois, une frange de celle-ci qui cherche à s'armer en réponse aux bandits.

La situation est largement minimisée à Maradi, regrette l'enseignant de l'Université locale Nouhou Salifou Jangorzo, du double fait d'un voisinage davantage en crise et de l'ancienneté du bantidisme dans la région.

Elle a été théâtre au XIXe siècle de luttes entre les fantassins du prêcheur peul Ousmane Dan Fodio cherchant à y implanter son califat, et les autochtones majoritairement haousa. Maradi a résisté. Le colon anglais a mis fin au califat, mais la frontière poreuse qu'il a créée dans une région culturellement homogène a lié à jamais le nord du Nigeria et le sud du Niger.

51 millions de francs en 2021

Dans son petit bureau, Mahaman Kaougé, rédacteur en chef du Souffle de Maradi, journal local, note chaque attaque, chaque enlèvement, chaque rançon.
En 2021, il a décompté 91 personnes kidnappées - soit une tous les quatre jours - et 51 millions de francs CFA (80.000 euros) de rançons payées. Le nombre d'enlèvements pour 2022 n'est pas encore établi.

Hamissou, cinquante ans, est de ceux-là. Il a passé dix-sept jours dans la forêt nigériane en mars après avoir été kidnappé par six jeunes hommes armés "parlant peul". Sa famille, deux femmes et onze enfants, a rassemblé la rançon en vendant ses trois hectares de terres. De bonnes âmes ont aidé et il s'en est finalement sorti. Mais il n'en démord pas: il faut faire quelque chose contre ces bandits, sinon "bientôt on n'aura plus rien".

Un "comité de vigilance" de dix jeunes a été créé au village. Les armes sont artisanales et les munitions... des bougies de moto. Hamissou va sans doute les rejoindre, dit-il. Certains disent anonymement que l'auto-défense est soutenue par l'Etat. Le gouverneur Chaibou dément, mais dit ne "négliger aucune proposition de l'ensemble ou d'une partie de la population" qui pourrait aider.

Chasse au hérisson

Le principal pilier de la politique gouvernementale, explique-t-il, reste l'action militaire. Des soldats, formés par les Belges, ont été déployés le long de la frontière. Une opération militaire, Faraoutar Bushiya - Chasse au hérisson en haousa - a été lancée.

Des caravanes de sensibilisation sont également organisées. "Maintenir une cohésion sociale est le principal défi", explique Hassan Baka, de l'Association pour la redynamisation de l'élevage au Niger (Aren), un des principaux regroupements d'éleveurs.

Avec des élus locaux, des sédentaires et des éleveurs, Hassan Baka organise des débats dans les villages pour que "toutes les communautés comprennent qu'on est liés par le même destin". Y compris celles du Nigeria voisin. Avec les autorités des Etats de Zamfara, de Sokoto et de Katsina, les rencontres sont fréquentes, la dernière début octobre, souligne Hassan Baka qui y était.

Un cadre de coopération a été lancé en 2017 entre Maradi et Katsina, qui sera bientôt étendu à toutes les régions du sud du Niger – Zinder, Dosso, Tahoua, Maradi – et les Etats du nord du Nigéria.

Reste que pour l'heure, disent de concert MM. Baka et Jangorzo, la coopération a du plomb dans l'aile. Le grand risque, craint l'enseignant, est que ce terreau fertile profite à une implantation de groupes jihadistes: "Le jour où ce banditisme va devenir du terrorisme, ça va être la grande catastrophe".