Pour la première fois en deux décennies, la bouillonnante mégapole de 20 millions d'habitants pourrait échapper à l'influence de M. Tinubu, son "parrain" historique, en faveur d'un gouverneur de l'opposition.
En tant qu'ancien gouverneur de Lagos (1999-2007), M. Tinubu jouit d'une immense richesse et d'une influence qui lui ont permis d'avoir les réseaux nécessaires pour accéder à la tête du pays le plus peuplé d'Afrique, même si l'opposition dénonce des fraudes massives lors du scrutin du 25 février.
Samedi, le Nigeria élit les gouverneurs de 28 des 36 Etats qui composent cette république fédérale (les autres ayant déjà fait l'objet d'élections partielles) ainsi que les représentants des assemblées locales. La bataille acharnée pour Lagos, véritable poumon économique du Nigeria grâce à son gigantesque port et ses entreprises florissantes, attire toute l'attention.
Immense puissance culturelle, la mégapole est le berceau de l'Afrobeats, genre musical qui enflamme la planète avec ses stars comme Burna Boy ou Tems, et de Nollywood, deuxième industrie cinématographique au monde. Ce "centre d'excellence", son surnom au Nigeria, est le fief de Bola Tinubu, qui a eu "la main sur la désignation de tous les gouverneurs depuis 2007", souligne Yusuf Omotayo, dans l'éditorial du magazine politique The Republic.
L’actuel gouverneur de Lagos, Babajide Sanwo-Olu, candidat samedi à sa réélection pour un second mandat, est d’ailleurs souvent qualifié de "marionnette" de M. Tinubu dans la presse locale. Mais, selon M. Omotayo, cette mainmise de Tinubu "pourrait prendre fin" samedi alors "que Lagos se prépare à une élection historique".
"Avertissement"
Certes, Bola Tinubu, 70 ans, a remporté la présidentielle en cumulant le plus grand nombre de voix au niveau national. Mais chez lui à Lagos, c'est le candidat outsider Peter Obi, 61 ans et favori de la jeunesse, qui est arrivé premier en remportant 10.000 voix de plus. Cette légère avance représente pour les partisans de M. Obi et son Parti travailliste (LP) une victoire symbolique qui a fait naître l'espoir de remporter Lagos le 18 mars.
"C'est un fort avertissement", affirme Olanipekun, commercial âgé de 28 ans, qui pense que "la majorité est avide d'une meilleur gouvernance et veut désormais changer le système politique médiocre qui leur est imposé depuis des années".
Cet habitant ne voit pas "la transformation" de Lagos que M. Tinubu et M. Sanwo-Olu se vantent d'avoir engendrée, mais plutôt les embouteillages monstres dans une ville qui manque cruellement de transports en commun et de logements. Alors sans hésitation, ce partisan de Peter Obi ira voter samedi. Car si, selon lui, Tinubu n'a pas perdu son emprise sur Lagos, il y a une "chance" samedi de "renverser la vapeur" et de voter pour un autre homme politique.
Cet homme est Gbadebo Rhodes-Vivour, candidat du LP au poste de gouverneur; un architecte de 40 ans, issu d'une grande famille du cru, qui promet de mettre "fin à l'accaparement des ressources de Lagos par un homme et sa famille", en appelant les jeunes "à sortir massivement pour voter", dit-il lors d'un entretien avec l'AFP.
"Dégoûtés"
Lors de sa campagne, M. Rhodes-Vivour a rappelé qu’il avait participé à un mouvement historique de la jeunesse contre les violences policières, baptisé "Endsars". En octobre 2020, des dizaines de milliers de Nigérians étaient descendus dans la rue pour dénoncer les brutalités des forces de sécurité et réclamer une meilleure gouvernance.
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Mais les manifestations pacifiques avaient été réprimées dans le sang par les autorités, notamment au péage de Lekki à Lagos, mettant fin au mouvement et traumatisant la jeunesse, qui s’était promise de sanctionner les dirigeants dans les urnes. Pour les analystes, c’est Endsars et sa répression qui expliquent en grande partie l’immense popularité de M. Obi, vu comme plus jeune et intègre et qui pourrait favoriser le candidat du LP samedi.
Mais pour renverser le système Tinubu à Lagos, encore faudrait-il que la jeunesse se rende aux urnes, alors que beaucoup se disent "dégoûtés" par le processus électoral de la présidentielle, qui a largement manqué de transparence. Des jeunes interrogés par l’AFP ont affirmé qu’ils n’iront pas voté. "À quoi ça sert? Ils ont triché pour la présidentielle, ils tricheront à nouveau samedi", lance résignée Damola, une étudiante de 23 ans.