Le ras-le-bol des humanitaires alors que la famine menace le nord-est du Nigeria

Une affiche pour la recherche du chef de Boko Haram Abubakar Shekau sur un mur dans le village de Baga à la périphérie de Maiduguri, dans le nord-est de l'État de Borno, au Nigéria, le 13 mai 2013.

Alors que le risque de famine plane sur le nord-est du Nigeria, région dévastée par plus de dix ans de conflit jihadiste, le personnel humanitaire, local et international, dénonce les difficultés grandissantes auxquelles ils sont confrontés.

Malgré les déclarations officielles de l'armée et des autorités assurant que la situation s'améliore, de vastes pans du territoire autour du lac Tchad sont toujours contrôlés par Boko Haram ou le groupe Etat islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap), et l'ONU estime que plus d'un million de personnes sont totalement hors d'accès de l'organe d'Etat.

Les ONG ne sont autorisées à travailler que dans les zones contrôlées par le gouvernement nigérian, où 8,7 millions de personnes ont besoin d'assistance pour se nourrir, se loger et se soigner.

Mais même dans ces zones, les problèmes sécuritaires, les restrictions et le manque de confiance de l'armée rendent le travail des humanitaires particulièrement éprouvant, coûteux, et parfois impossible.

"On ne peut pas intervenir ici au maximum de nos capacités, tant que l'armée continue à perdre du territoire", déplore un humanitaire, sous couvert d'anonymat.

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Cible des jihadistes

Le personnel humanitaire est devenu une cible ces dernières années pour les jihadistes d'ISWAP, qui multiplient les attaques contre "la Croix-Rouge" (qui semble être un terme générique utilisé pour tout personnel d'ONG) et plus récemment contre un "hub" de l'ONU, où les humanitaires vivent et travaillent, à Dikwa, à la frontière avec le Cameroun.

Des employés de plusieurs ONG, accusés d'évangéliser les populations et de leur inculquer des "valeurs occidentales", ont été kidnappés et leurs exécutions mises en scène dans des vidéos de propagande, forçant de plus en plus les ONG à se retirer des zones les plus reculées.

Et pourtant, la situation est extrêmement inquiétante. La "pire" même depuis cinq ans, selon l'ONU, période pendant laquelle plus de 7 millions de personnes étaient en insécurité alimentaire et certaines poches du lac Tchad touchées par la famine.

"Nous sommes à un tournant décisif dans la crise (mondiale) et particulièrement dangereux", estime Margot van der Velden, représentante du Programme alimentaire mondial (PAM) dans un communiqué sur l'urgence humanitaire au Nigeria, au Yemen et au Sud-Soudan, les pays les plus à risque.

"Le jour où l'on déclarera l'état de famine, cela voudra dire que de nombreuses vies seront déjà perdues", met-elle en garde. "Nous ne pouvons pas attendre ce moment pour agir, ce sera déjà trop tard".

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Cauchemar logistique

Les autorités nigérianes participent à l'effort humanitaire en distribuant des rations de nourriture, notamment aux personnes déplacées disséminées dans tout le nord-est. Mais une large part est gérée par des dizaines d'ONG locales et internationales, sous gestion et coordination de l'ONU.

"La situation dans le nord-est du Nigeria est encore plus compliquée qu'en Syrie, où on peut au moins négocier ou communiquer avec certains groupes" rebelles, confie un travailleur humanitaire qui a longtemps travaillé au Moyen-Orient.

"Et en termes logistiques, on ne peut même pas accéder à ces groupes par la route", ajoute cette source.

Un quatrième coordinateur d'ONG dénonce également "le cauchemar" logistique pour juste "acheminer de l'argent ou de l'essence" à cause des restrictions de l'armée, dans les régions hors de la capitale du Borno, Maiduguri, où sont basées leurs bureaux régionaux.

"Dernièrement, il nous a fallu deux mois pour pouvoir livrer des vivres à Monguno", une grande ville de garnison, explique cette source sous couvert d'anonymat. "Cela veut dire que des enfants ne recoivent pas de nourriture... Il y a de lourdes conséquences en jeu."

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Etat souverain

"Je suis au courant de cette affaire de Monguno", rétorque Mairo Mandara, commissaire spéciale des Affaires humanitaires pour l'Etat du Borno. "Mais s'ils savent qu'il faut deux mois pour obtenir une autorisation de l'armée, pourquoi ils ne la demandent pas trois mois avant?", s'indigne-t-elle.

"Il faut respecter les gens avec qui vous travaillez... Ils pensent qu'ils sont à Mogadiscio. C'est un Etat souverain ici!", prévient-elle.

Le brigadier général Mohammed Yerima, porte-parole de l'armée, dément également toute entrave au travail des humanitaires, assurant au contraire leur "fournir la sécurité nécessaire pour opérer".

Le président Muhammadu Buhari, qui avait fait de l'éradication de Boko Haram sa promesse de campagne lors de sa première élection en 2015, essuie de nombreuses critiques face à l'enlisement de la crise sécuritaire dans le nord-est.

Il a nommé de nouveaux responsables militaires en janvier. La nouvelle a été reçue plutôt positivement à travers le pays, mais beaucoup de partenaires internationaux se demandent si ces nouvelles nominations auront quelconque effet.

"Grâce aux humanitaires, beaucoup de gens survivent", explique l'un d'eux. "Mais nous devons forcer Abuja à contribuer davantage à l'effort global."