Nouveau scandale au sein de la compagnie pétrolière nationale au Nigeria

Une installation Chevron de pétrole sous construction à Escravos, 56 miles de Warri dans la riche région du delta du Niger de pétrole du Nigeria, 17 août 2010. epa/ GEORGE Esiri

Après avoir promis de mener "la guerre contre la corruption", le gouvernement du président nigérian Muhammadu Buhari est éclaboussée par un scandale après la fuite d'une lettre du secrétaire d'Etat au Pétrole dénonçant des malversations au sein de la compagnie pétrolière d'Etat.

Dans sa lettre publiée dans un média local un mois après avoir été envoyée au président Buhari, Emmanuel Ibe Kachikwu, dresse une liste de cinq contrats d'une valeur de 25 milliards de dollars "signés sans aucune connaissance ni approbation du conseil d'administration de la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation)".

"Et il y en a beaucoup d'autres votre Excellence", tranche l'auteur de la lettre, disant regretter, le "climat de peur", "la non-transparence", "l'humiliation", le tribalisme et les soupçons de corruption qui règnent toujours au sein de la NNPC.

La compagnie pétrolière nationale est historiquement réputée pour être la caisse noire de tous les gouvernements démocratiques ou militaires qui se sont succédé à la tête du premier producteur de pétrole d'Afrique. Une caisse colossale.

Selon Benjamin Augé, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales, "le volume vendu par la NNPC représente plus de 50% du volume total - d'environ 2 millions de barils/jour - produit dans le pays", à travers ses joint-ventures avec les grandes compagnies internationales (Shell, Total, ExxonMobil, Chevron, ENI,..).

Le 'cancer' de la corruption

En 2014, le gouverneur de la Banque Centrale, Lamido Sanusi, avait mis à jour l'un des plus gros scandales de corruption du pays, dénonçant la disparition de 18 milliards de dollars des caisses de l'Etat, entre 2012 et 2013.

M. Sanusi a été évincé par le pouvoir, mais c'est sûrement ce même scandale, et les accusations de pillages à grande échelle, qui ont fait perdre Goodluck Jonathan à la présidentielle de 2015, face à Muhammadu Buhari, réputé pour sa droiture.

Le président Buhari avait assuré vouloir mettre fin au "cancer de la corruption". Quasiment toutes les semaines, des comptes sont gelés, des immeubles soupçonnés avoir été mal acquis sont saisis.

Le président Muhammadu Buhari à sa descente d’avion à Abuja, Nigeria, 19 août 2017.

Mais ses détracteurs l'accusent de ne viser que des membres du parti adverse en menant "une chasse aux sorcières".

Ce nouveau scandale leur donne un argument de poids. Le secrétaire d'Etat au Pétrole dit avoir tenté en vain de "rencontrer à plusieurs reprises" le président, qui s'est également arrogé le poste de ministre du Pétrole.

Sa lettre explosive, datée de la fin août, n'a donné lieu à aucune réaction publique du président nigérian.

'Un homme du Nord'

Directement visé par les accusations, le président de la NNPC, Maikanti Kacalla Baru, continue d'assumer ses fonctions.

"Depuis que Baru a été nommé (par M. Buhari) à la tête de la NNPC (en 2016), il n'a eu qu'un objectif: isoler Kachikwu", explique à l'AFP le chercheur Benjamin Augé.

Les deux hommes n'ont rien en commun. Le Dr Baru, 58 ans, fait partie de la vieille garde musulmane du Nord, tout comme le président Buhari. Sa carrière au sein de la NNPC lui a permis de développer un réseau politique très puissant.

Tout le contraire d'Ibe Kachikwu, originaire du Sud et du secteur privé (diplômé d'Harvard, il était le numéro 2 d'ExxonMobil pour l'Afrique).

Emmanuel Ibe Kachikwu.

Nommé à la tête de la NNPC en même temps qu'au gouvernement, M. Kachikwu avait commencer à réformer la compagnie pour la rendre plus transparente.

Ses efforts ont été salués par les financiers et investisseurs du secteur. Son renvoi à la faveur de M. Baru, un ancien de système, a provoqué la surprise.

"Buhari a placé Baru à la tête de la NNPC uniquement parce qu'il vient du Nord, comme lui", tranche un analyste financier nigérian.

Le PDP (Parti Démocratique Populaire, opposition) a demandé jeudi le limogeage de M. Baru, et dénoncé "le silence pesant du président Buhari sur les accusations de malversations au sein de la vache à lait qu'est la NNPC".

Ibe Kachikwu a finalement été reçu vendredi par le président Buhari. A sa sortie, il a lancé un "pas de commentaire" lapidaire à la presse.

"Il est peu probable qu'il soit évincé du gouvernement, cela donnerait une trop mauvaise image aux investisseurs", a commenté l'analyste financier.

"Mais il est sur un siège éjectable pour le prochain remaniement ministériel de 2018. Dans le fond, on reste avec le même système corrompu dont Buhari a hérité. Rien n'a changé."

Avec AFP