"On ne peut pas en rester là avec cette parodie d'élection", a-t-il déclaré mardi, au lendemain de la victoire de M. Kenyatta avec 98% des voix. Raila Odinga avait appelé au boycotage, car il estimait qu'elle ne pourrait jamais être libre et équitable.
Ne rien faire reviendrait à valider "la fin du scrutin électoral comme moyen d'instituer le gouvernement au Kenya", a-t-il estimé, se posant une nouvelle fois en défenseur de la démocratie, lui qui a passé des années derrière les barreaux dans les années 80 pour ses activités d'opposant.
M. Odinga portait une lourde responsabilité sur ses épaules. Son discours était attendu impatiemment par tous ses partisans, qui le surnomment "Baba", "papa" en kiswahili, et lui vouent un respect sans borne.
Il aura délivré un discours très pondéré, qui ne devrait pas trop attiser les violences observées dans les fiefs de l'opposition entre ses supporteurs et la police depuis le scrutin du 8 août, remporté par M. Kenyatta avec 54% des voix, mais ensuite invalidé en justice.
Pour obtenir la tenue d'une nouvelle élection, dans les 90 jours comme il le souhaite, il a annoncé mardi la création d'une "campagne de résistance nationale". Il n'a pas précisé s'il saisirait à nouveau la Cour Suprême, comme pour le premier scrutin.
Personnage ambivalent et difficile à cerner, l'ex-Premier ministre d'un gouvernement d'union nationale entre 2008 et 2013 demeure une énigme pour ses concitoyens: réformateur social pour les uns, ou populiste prompt à instrumentaliser les jalousies entre communautés pour les autres.
- Charismatique et populaire -
Ses partisans soulignent également à quel point le ralliement du leader politique de l'ethnie luo, une des plus importantes du pays, fut crucial dans la victoire à la présidentielle de 2002 d'un représentant de l'élite économique et politique kikuyu, Mwai Kibaki.
Ce dernier, à la tête d'une large coalition, avait défait un autre kikuyu, un certain Uhuru Kenyatta, fils du père de l'Indépendance du pays Jomo Kenyatta et dauphin désigné de l'ancien autocrate Daniel arap Moi (1979 - 2002).
Le père de Raila, Jaramogi Oginga Odinga, occupa brièvement le poste de vice-président. Mais il fut surtout le grand perdant de la lutte post-indépendance pour le pouvoir, au profit du premier chef d'État Jomo Kenyatta.
Dès le début de son engagement en politique au début des années 80, M. Odinga fait preuve d'une ténacité qui ne l'a jamais quitté: il paye son opposition au régime de parti unique en vigueur au Kenya jusqu'en 1992 par près de huit ans de détention sans procès, dans les années 80 et jusqu'en 1991.
Sa défaite au premier tour en 2013 face à Uhuru Kenyatta devait sonner la fin de sa carrière politique, après ses deux premiers échecs de 1997 et 2007.
Mais le madré Odinga demeure le leader le plus charismatique et le plus populaire de l'opposition kényane et il réussit à convaincre son camp qu'il était, cette année encore, le mieux placé pour le faire gagner.
Dès la proclamation le 11 août de la victoire de M. Kenyatta, il a dénoncé une "mascarade" électorale, comme il l'avait fait en 2007 et en 2013, et n'a plus cessé d'utiliser cette formule.
- 'Le mystérieux' -
En 2007, il crie à la fraude massive lorsque son adversaire Mwai Kibaki est déclaré vainqueur. Le Kenya plonge alors dans les pires violences politico-ethniques depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1963, faisant plus de 1.100 morts et 600.000 déplacés.
Il faudra une pression maximale de la communauté internationale pour trouver un compromis et faire d'Odinga le Premier ministre du gouvernement d'union nationale.
Plus que tout observateur de la vie politique kényane, c'est sans aucun doute sa propre communauté Luo, dans l'ouest du Kenya, qui a le mieux décrit M. Odinga en le surnommant "Agwambo", "le mystérieux", un qualificatif collant parfaitement à cet homme au parcours semé de contradictions.
Quand Raila Odinga lit un discours préparé à l'avance, il butte sur les mots, se trompe dans les chiffres. Mettez-le sur un podium sans notes à la main, il multiplie les bons mots en kiswahili, séduit la foule et aligne des arguments qui font mouche.
Ses détracteurs l'ont souvent épinglé comme "socialiste", lui qui a fait ses études d'ingénieur à Leipzig, en Allemagne de l'Est communiste et qui a prénommé Fidel son fils aîné - décédé en 2015 - en hommage au révolutionnaire cubain Fidel Castro.
Lui-même se présente comme un social-démocrate soucieux de rééquilibrer la répartition des richesses dans un pays profondément inégalitaire.
Il est dans les faits à la tête d'un solide patrimoine, fruit de sa carrière politique et d'homme d'affaires, dans le secteur de l'éthanol et du pétrole. Son passage au poste de Premier ministre a par ailleurs confirmé qu'il n'avait aucune aversion pour l'économie de marché.
Avec AFP