Pakistan : Musharraf déclaré "fugitif" dans le procès du meurtre de Benazir Bhutto

L'ex-Premier ministre pakistanaise Benazir Bhutto assassinée en 2007.

La justice pakistanaise a rendu jeudi son tout premier verdict sur l'assassinat de l'ex-Premier ministre pakistanaise Benazir Bhutto en 2007, relaxant cinq suspects mais qualifiant de "fugitif" son rival d'alors en politique, l'ex-président Pervez Musharraf.

Le tribunal a également ordonné que soient confisqués les biens de l'ancien dirigeant militaire, qui avait été inculpé en 2013 dans cette affaire et fait désormais office de seul suspect.

Mme Bhutto, deux fois élue Premier ministre du Pakistan, et première femme de l'ère contemporaine à avoir dirigé un pays musulman, avait été assassinée dans un attentat suicide perpétré à Rawalpindi le 27 décembre 2007.

Selon la version la plus communément acceptée, un assaillant lui a tiré dans le cou après un meeting avant de déclencher sa charge explosive à proximité de son convoi, tuant 24 autres personnes.

M. Musharraf avait quitté son pays en mars 2016 pour recevoir des soins médicaux à Dubaï en promettant de revenir ensuite affronter ses juges. Il ne s'est pas exécuté jusqu'ici.

"Musharraf a été déclaré fugitif", a déclaré à la presse un responsable du tribunal devant la prison d'Adiala à Rawalpindi où s'est déroulée l'audience jeudi.

La cour a par ailleurs acquitté cinq suspects en détention. Ils devraient être libérés après plus de neuf ans sous les verrous, a encore indiqué le porte-parole du tribunal.

Ces jeunes islamistes présumés proches du kamikaze avaient été écroués peu après l'attentat et inculpés. Le kamikaze avait été identifié par l'enquête pakistanaise comme un adolescent de 15 ans originaire du Waziristan du Sud, fief des rebelles islamistes.

Deux responsable locaux de la police ont quant à eux été condamnés jeudi à 17 ans de prison chacun et 500.000 roupies (4.000 euros) d'amende "pour leur mauvaise gestion de la scène du crime".

Il est reproché au chef de la police de Rawalpindi, Saud Aziz, et à son adjoint, Khurram Shahzad, de ne pas avoir assuré la sécurité de la candidate et d'avoir fait laver les lieux de l'attentat au karcher, moins de deux heures après les faits.

En 2010, l'ONU a accusé dans un rapport le gouvernement de Musharraf de ne pas avoir fourni une protection adaptée à Mme Bhutto, soulignant que sa mort aurait pu être évitée.

M. Musharraf dément avoir joué un rôle dans les évènements ayant entraîné l'attentat qui avait semé le chaos dans le pays, et marque toujours profondément son histoire.

Après l'assassinat, son régime avait aussitôt accusé le chef des talibans pakistanais à l'époque, Baitullah Mehsud. Ce dernier, qui avait démenti toute implication, a été tué par un drone américain en 2009.

La fille de Mme Bhutto, Aseefa Zardari, a réagi au verdict en estimant sur Twitter qu'il "n'y aura pas de justice tant que Pervez Musharraf ne répondra pas de ses crimes".

- Pacte avec Musharraf -

Le meurtre de Mme Bhutto était survenu moins de deux mois après son retour d'exil à la faveur d'un pacte de partage du pouvoir avec M. Musharraf auquel elle avait rapidement renoncé.

Sous la houlette du veuf de Mme Bhutto, Asif Ali Zardari, élu président en 2008, le Parti du peuple pakistanais (PPP) avait entamé des poursuites contre Musharraf.

Le puissant général avait été mis en examen en août 2013, une première pour un ex-chef d'Etat major pakistanais, donnant un temps l'impression que l'armée, qui a dirigé le Pakistan pendant la moitié de sa courte histoire, n'était plus au-dessus de la justice. Mais son interdiction de sortie du territoire à peine levée trois ans plus tard, M. Musharraf s'était installé à Dubaï.

Pour l'expert politique Hassan Askari, le jugement de jeudi "ne répond pas à la question de savoir qui l'a véritablement tuée, les talibans ou Musharraf". En raison de "la faiblesse de l'accusation", "le mystère reste entier", souligne-t-il.

En 2013, Heraldo Munoz, ancien président de la commission d'enquête de l'ONU sur le meurtre de Benazir Bhutto, écrivait que l'affaire ressemblait au meurtre d'un chef de village dont tous les villageois portent, à un degré divers, une part de responsabilité.

"Al-Qaïda a donné l'ordre, les talibans pakistanais ont exécuté l'attaque, éventuellement appuyés ou au moins encouragés par des éléments de l'establishment (militaires et/ou services secrets), le gouvernement de Musharraf a facilité le crime par sa négligence, les responsables de la police locale ont tenté de camoufler l'affaire, les gardes du corps de Bhutto ont échoué à la protéger et la majorité des politiciens pakistanais préfèrent tourner la page que d'enquêter sur les acteurs derrière ce meurtre", estimait-il.

Avec AFP