Le Cameroun fait face dans ses deux régions anglophones (environ 5 millions d'habitants, 20% de la population) à une grave crise sociopolitique depuis plus d'un an, qui s'est peu à peu muée en conflit armé entre l'armée et les séparatistes.
Q/ Que se passe-t-il au Cameroun anglophone?
R/ Le gouvernement ignore les aspirations des anglophones, on est en train d'atteindre un point de non-retour. Au début (de la crise, fin 2016), les corporations des avocats et des enseignants ont appelé à un dialogue, et c'était une bonne chose.
Mais certains d'entre eux ont été arrêtés. Ça a été un tournant très important dans la crise anglophone.
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Le 1er octobre (date de la proclamation symbolique par les séparatistes de l'indépendance de l'"Ambazonie" nom de l'Etat qui veulent créer), l'armée a tué beaucoup de gens. Pendant presque deux semaines, ils ont tiré sur les gens comme sur des oiseaux.
Les leaders n'ont pas cru qu'un dialogue serait possible après cela. Ils ont appelé à la formation de groupes pour se défendre, dans chaque communauté. Et c'est ce qu'il s'est passé. Maintenant, en dehors de Buea, c'est un monde différent. C'est une zone de guerre.
Q/ Que pensez-vous de la réponse de Yaoundé à cette crise?
R/ C'est le gros problème. Ils sont sur une ligne de défense de l'intégrité de la nation, et les gens en face sont prêts à mourir.
A Yaoundé, personne ne s'intéresse à nous. +Votre affaire-là, elle continue encore?+, disent-ils. Alors qu'on a des gens qui meurent tous les jours ici!
A la place, ils rasent des villages. A Kembong, ils ont tout détruit. Ils utilisent des méthodes (de guerre) démodées et vieilles, et disent que (les images de ces exactions présumées qui circulent sur Internet) ne sont pas vraies.
Que le gouvernement ne prenne pas ces choses au sérieux, je suis désolé pour lui. Mais comme le dit le dicton, +la vérité finit par triompher+.
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Si l'armée continue à dire que ce qui se passe n'est pas vrai, ils ne gagneront pas. Ils ne peuvent plus faire comme si rien ne se passe. Et la vérité, c'est qu'ils doivent résoudre ce problème.
Q/ Qui sont les combattants dans les régions anglophones ?
R/ Les gens qui se battent ne sont pas une armée, ils ne répondent pas à un ordre. Ils répondent à une volonté de ne plus être mis au ban. Ce sont des fermiers, des gens des villages, pas des soldats formés à obéir. Ils se sont radicalisés à partir du moment où ils ont commencé à perdre des proches.
Quand vous perdez un membre, ou plus, de votre famille, vous vous dites que vous voulez vous battre et que vous ne vous rendrez pas. L'armée ne peut rien faire contre eux.
Dans les régions anglophones, les combattants ne s'arrêteront pas avant qu'il n'y ait quelque chose de significatif (qui leur soit proposé). Et si on ne peut pas leur promettre que le dialogue est sérieux, ils ne s’arrêteront pas. Il n'y aura pas de cessez-le-feu sans dialogue.
Q/ Pensez-vous que ce dialogue soit possible?
R/ Il faut que les anglophones écrivent leurs doléances, que des facilitateurs les écoutent. C'est urgent, il y a déjà des centaines de morts. Et surtout, il faut s'assurer que ça soit suivi de décisions.
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Les gens qui se battent en régions anglophones veulent un dialogue sans condition avec les autorités. Mais les autorités ont mis des conditions.
Le ministre de l'Intérieur a dit, ici à Buea, que le gouvernement offrait des possibilités pour la paix. Mais Yaoundé ne peut pas négocier avec des "terroristes", c'est ce qu'ils disent. Donc quand vous mettez des conditions comme cela, comment voulez-vous progresser?
Si on parlait de paix et d'unité, le fédéralisme serait une solution parfaite. Mais les gens qui combattent estiment que l'unité n'était plus possible.
Le président (Biya, lors de son discours de nouvelle année) a dit qu'il n'y avait pas de problème. Donc, comment les gens peuvent croire à un dialogue? En régions anglophones, les écoles sont fermées et les gens meurent.
Les gens d'ici n'acceptent plus que les choses changent seulement avec la signature d'un décret présidentiel. C'est un système vieux. Avant c'était autonome ici, il y avait un Premier ministre, et s'il faisait des choses mauvaises, il en rendait compte à la justice. Aujourd'hui, Yaoundé gère tout. Le pouvoir est entre les mains d'un seul homme, et les gens ne l'acceptent plus ici.
Avec AFP