"Bien sûr que c'est injuste", a déclaré M. Poutine, cité par les agences lors d'une rencontre avec des journalistes. "Je pars du principe que nous aurons une discussion avec nos collègues de l'Agence antidopage et j'espère une réaction du Comité international olympique", a-t-il ajouté alors que cette décision prive les athlètes russes des JO de Rio, en août.
L'athlétisme russe est donc suspendu tout en laissant la porte ouverte à ceux qui prouveront leur bonne foi, à six semaines des JO (5-21 août).
... mais Yelena Isinbayeva, le visage de l'athlétisme russe, peut continuer à rêver. La Tsarine de la perche, comme les autres stars russes du tartan, devront toutefois montrer patte blanche.
La situation est en effet complexe : "Ce n'est pas ouvert à tout le monde, simplement aux athlètes qui ont vécu en dehors du système russe suffisamment d'années", souligne Jean Gracia, secrétaire général de l'IAAF.
Ces athlètes devront "postuler auprès de l'IAAF et le +Doping Revue Board+ étudiera chacune des candidatures. C'est l'exception", souligne-t-il. Selon certains échos, cela pourrait même ne concerner que trois à quatre athlètes russes...
Isinbayeva, la double championne olympique (2004-2008), qui a vécu par le passé en Italie et à Monaco, avait réagi la première, en colère, face au maintien de la suspension de sa Fédération (ARAF).
"C'est une violation des droits de l'Homme. Je ne peux pas me taire,(...) je vais m'adresser à une cour des droits de l'Homme", avait-elle lancé, sans préciser auprès de quel tribunal elle souhaitait porter l'affaire.
Une colère et une incompréhension qui témoignent de l'ambiguïté de la décision prise vendredi par le Conseil de l'IAAF, le gouvernement de l'instance.
Les faits eux sont clairs: la Russie, via ses instances sportives et antidopage, a organisé et couvert le dopage dans "son" athlétisme, en rackettant ses propres athlètes et en allant jusqu'à corrompre l'ancien président de l'IAAF, Lamine Diack (1999-2015), mis en examen pour blanchiment aggravé et corruption. Avec l'affaire russe, l'athlétisme mondial a plongé dans la plus grave crise de son histoire.
- 'C'est l'IAAF qui décide' -
La Russie a triché donc, et elle continue sans doute un peu à le faire selon l'IAAF, malgré "des progrès et des efforts” : c'est pourquoi le Conseil a voté vendredi à Vienne la prolongation de la suspension de la Fédération russe d'athlétisme (ARAF), prononcée en novembre.
"La décision a été prise à l'unanimité", a souligné le Britannique Sebastian Coe, président de l'IAAF, comme pour enfoncer le clou.
Mais les athlètes russes propres ne doivent pas pâtir de la faute des autres. C'est en ce sens qu'il faut analyser l'autre décision prise par ce même Conseil : autoriser les athlètes russes non contrôlés positif qui prouveront "qu'ils n'ont pas fait partie du système de dopage" à participer à Rio, sous une bannière et des modalités qu'il reviendra au Comité international olympique (CIO) de préciser.
Ça tombe bien, le CIO a justement prévu de se réunir mardi, à Lausanne (Suisse).
En fait, l'IAAF ne voulait pas de rôles trop marqués : le bâton pour l'IAAF avec une suspension totale (celle de la Fédération et de tous les athlètes de nationalité russe), et la carotte pour le CIO, qui aurait alors pu prendre l'initiative de permettre aux athlètes russes non dopés de participer aux Jeux sous une autre bannière.
De facto, l'IAAF propose déjà cette solution de repli, qui allie fermeté et ouverture. "C'est l'IAAF qui décide de qui peut courir aux JO ou non", a ainsi sèchement tranché M. Coe vendredi.
Suite au vote de l'IAAF, le CIO a fait savoir que son comité exécutif tiendrait une conférence téléphonique dès samedi à ce sujet.
- Porte étroite -
Dans cette décision, il faut voir la patte personnelle de Sebastian Coe, ancien athlète de très haut niveau.
Le double champion olympique du 1500 m (en 1980 et 1984) a toujours affiché son soutien aux athlètes propres, en souvenir des efforts d'une vie dédiée à une qualification olympique. Il a lui-même vécu le boycott des Etats-Unis, à Moscou-1980, puis celui des Russes et pays satellites en 1984 à Los Angeles. "Empêcher de courir des athlètes qui n'ont jamais été contrôlés positif est pour lui un crève-coeur", assurait un proche du président avant l'officialisation du vote.
Concrètement, "il sera possible à des athlètes qui ne sont pas impliqués dans le système russe mais qui font partie d'un programme extérieur à la Russie et efficace contre le dopage de faire une demande spéciale. L'IAAF étudiera ces cas et fera ses recommandations", a développé M. Coe.
Rune Andersen, président de la Commission de l'IAAF qui supervise les efforts de la Russie dans l'antidopage, a toutefois précisé que ces demandes ne pourront pas être nombreuses.
"L'ouverture de porte est très étroite, il n'y a pas beaucoup d'athlètes qui pourront faire appel de cette possibilité", a-t-il déclaré.
La mesure devrait en premier lieu permettre la présence à Rio de Yulia Stepanova, coureuse de 800 m et lanceuse d'alerte à l'origine de la suspension de son pays.
"Je ne sais pas si elle sera à Rio, mais la commission a émis un avis favorable à l'étude de son dossier par l'IAAF si elle en fait la demande", a développé M. Andersen.
A six semaines de Rio, les athlètes russes savent désormais ce qui leur reste à faire.
Alexandre Joukov, le président du Comité olympique russe, a, en tout cas, mis la pression sur le CIO, en répétant que "la responsabilité doit être personnelle" et que la Russie fera "tout pour que (ses) athlètes propres aillent à Rio": la décision de l'IAAF "est contraire à l'esprit du mouvement olympique" et constitue "un précédent dangereux", a-t-il insisté.
Avec AFP