"Combien de clients?", "combien de jours par semaine?", demande à chacune des parties civiles la présidente, Corinne Goetzmann. "10-15 clients par nuit, tous les jours ça me rapportait entre 300 et 500 euros", répond Grace (prénom modifié), cheveux ras, visage poupin et l'air éteint, vêtue d'un jean et d'une chemise à carreaux siglée "Babygirl".
Lire aussi : Les viols de Françaises par des G.I. américains en 1944Combien de cet argent remettait-elle à son "petit ami" ? "La totalité". "J'étais un distributeur", décrit une autre partie civile, qui se prostituait comme les autres dans le quartier de Château-Rouge à Paris et au bois de Vincennes, souvent après l'Italie et la Belgique. "Une esclave", dit une autre. "Si je refuse... il me frappe", racontait une jeune femme la semaine dernière. "Je serais morte si j'avais gardé l'argent pour moi", avait confirmé une autre.
La traite de jeunes femmes nigérianes a pris une ampleur considérable ces dernières années, et les procédures judiciaires se multiplient. Les récits de Grace et des autres, à la barre ou par visioconférence quand elles n'osent pas venir (plusieurs ont reçu des menaces), sont similaires.
Peu éduquées ("quelques années" de primaire, dit Grace), elles viennent pour la plupart de Benin City (sud du Nigeria), ont vécu l'enfer des camps libyens et la traversée de la Méditerranée. Elles se prostituaient déjà quand elles ont rencontré en Europe – souvent sur Facebook – leurs "petits amis" aujourd'hui sur le banc des accusés, qu'elles ne regardent pas.
"Fausse couche"
Agés de 27 à 44 ans, indéchiffrables dans le box, ces hommes font tous partie de l'organisation Maphite, qui compte plusieurs "familles" dans différentes villes européennes. Confraternité étudiante à l'origine, elle s'est criminalisée dans les années 90, comme d'autres "cults", ces "gangs" nigérians au fonctionnement "mafieux" selon la police, qui se développent en France. Ils assurent l'avoir quittée en arrivant en Europe.
Ce "rite d'initiation" violent au cours duquel l'un des leurs est mort en Italie ? "Pas au courant". Cette "réunion" à Madrid ? "Une simple fête", balaie un accusé. Tous l'assurent, personne n'a jamais forcé aucune de ses nombreuses "petites amies" à se prostituer. "Je ne discutais jamais de son travail avec elle", ose même pendant son interrogatoire mercredi Osagie Eghaghe, 44 ans, reconnaissant juste avoir "bénéficié" de la prostitution.
"On est Nigérians. On sait tous dans quelles conditions elles sont sorties (du pays), ce qu'elles font", poursuit l'homme aux cheveux courts, visage rond, survêtement noir à bandes réfléchissantes. "J'évite de poser des questions, je ne veux pas qu'elle pense que je la juge", ajoute l'accusé, qui encourt comme les autres 20 ans pour proxénétisme aggravé et traite d'êtres humains.
Lire aussi : Dans les camps de Goma en RDC, la prostitution, les viols et la faimL'avocat général, Jean-Christophe Muller, a fait un calcul - qui ne convainc pas la défense - en multipliant les revenus moyens pendant les deux années visées par 25 – le nombre de femmes identifiées. "Au bas mot", il arrive à 2,8 millions d'euros de bénéfice.
La grande majorité des femmes ont avorté plusieurs fois de ces hommes qui "n'aimaient pas les préservatifs". Elles décrivent les "coups dans le ventre", les médicaments pour provoquer les fausses couches. "Quand je me suis réveillée, ils m'ont dit qu'ils avaient jeté le bébé", avait murmuré à la barre Sandra (prénom modifié) à la fin de l'effroyable récit de sa "fausse couche" à sept mois de grossesse - l'un des 10 avortements provoqués par son "petit ami".
Depuis le box vendredi, ce dernier, 41 ans, fines dreads en chignon, bouc et lunettes, répète qu'il ne l'a "jamais tapée jusqu'à ce qu'elle perde sa grossesse", qu'il n'a jamais "su qu'elle était enceinte ni qu'elle avortait". Que lui inspire sa présence dans le box ? demande une avocate. "C'est très difficile, je suis triste, mais j'essaie de tenir", répond-il.
Le verdict de ce procès, qui a débuté la semaine dernière, est attendu mardi.
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