Le Niger, qui organise dimanche son élection présidentielle, fait face à l'Est à à Boko Haram et à l'Ouest à d'autres groupes jihadistes sahéliens.
Mais à Diffa personne n'ose prononcer le nom de la secte islamiste nigériane par peur de représailles. On parle "d'insécurité", des "problèmes" ou de "la situation actuelle".
Une source sécuritaire confie que des sympathisants du groupe informent Boko Haram qui a des oreilles partout.
"Je n'ai pas 1.000 francs CFA (1,5 euro) en poche, ça fait quatre ans que je suis au chômage", raconte, des trémolos dans la voix, Abdou Maman, 46 ans, deux femmes et huit enfants à charge. "Je me débrouille comme je peux. Parfois je fais un petit business de 3.000 ou 5.000 FCFA. Des fois, je reste sans rien faire et quand tu ne fais rien, tu ne manges pas".
Depuis les premières attaques de Boko Haram dans la région en 2015, la situation s'est beaucoup dégradée.
Diffa vit sous couvre-feu, avec une présence militaire permanente, dans la crainte d'attaques (il y en a eu quatre en mai) ou d'attentats suicide, comme en 2018.
Le 12 décembre, une attaque contre Toumour, à une cinquantaine de km, a fait 34 morts.
La région accueille 300.000 réfugiés nigérians et déplacés nigériens. Personne n'est vraiment capable de donner une estimation de la population de la ville qui comptait 50.000 habitants en 2011, mais sans doute plus du double aujourd'hui.
"L'insécurité fait beaucoup de choses. Ca entraîne les pertes d'emploi, la cherté de la vie...", poursuit Abdou Maman. "La pêche, l'élevage, l'agriculture, le commerce... tout ça ne va pas", soupire-t-il, en référence aux jihadistes qui rackettent ou tuent éleveurs, agriculteurs et pêcheurs dans la zone du lac Tchad et de Diffa.
Le petit commerce avec le Nigeria ne fonctionne plus avec la fermeture de la frontière.
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"On a peur"
"Avec le couvre-feu, le petit 'tablier' (vendeur de rue avec une table) doit arrêter à 22 heures. Des familles vivent dans des hangars, des déplacés mais aussi des gens qui ont perdu leur travail", ajoute-t-il, accusant aussi les dirigeants de "mauvaise gouvernance".
"A cause de l'insécurité, trouver de l'argent, c'est très difficile. Avant quand c'était tranquille, ça marchait très bien", explique Zenabou, dont le mari cultivateur est devenu aveugle et ne peut plus travailler. Elle s'occupe de six enfants et parcourt tous les jours une vingtaine de kilomètres à partir de son village pour faire le commerce de condiments, qu'elle vend sur une natte à même le sol.
"Nous avons des problèmes pour rembourser les crédits. On mange avec ce qu'on gagne, parfois ça marche, parfois ça ne marche pas", dit-elle.
"Avant, c'était pas cher mais maintenant tout a augmenté à cause de l'insécurité. Par exemple, les feuilles de bissap (tisane d'hibiscus) coûtent 1.750 FCFA la petite tasse contre 650 avant", raconte-t-elle. "Mais surtout on a très peur". "Souvent nous entendons des coups de feu, ça vient de tous les côtés. Nous sommes obligés de rester chez nous".
Certains trouvent toutefois leur compte dans cette situation, comme des commerçants ou les innombrables taxi-triporteurs jaune et noir qui se faufilent entre habitants, carrioles, ânes et zébus.
"Il y a plus de monde en ville, donc plus de clients", explique Abdalla Maman, taxi-triporteur, qui regrette seulement la hausse du prix de l'essence à Diffa, où la majorité des échanges se fait en nairas, la monnaie du Nigeria, et non en FCFA.
"Avant, l'essence venait avec des grands camions-citernes. Maintenant avec la frontière fermée, ce sont des petits transporteurs qui acheminent des bidons en contournant le poste (frontière)", ajoute-t-il.
L'essence est passé de 450 FCFA à 650 FCFA en quatre ans, dit-il. Mais "le business marche bien".
Les autorités assurent être en train de remporter "la guerre" contre Boko Haram et l'ancien ministre de l'Intérieur Mohamed Bazoum, favori de la présidentielle, a promis lors de son dernier meeting de campagne à Diffa le retour des déplacés et réfugiés avant la fin de 2021.