Racisme sur la Toile : l'Afrique du Sud agitée par ses démons, 22 ans après la fin de l'apartheid

Des milliers de personnes affluent pour célébrer le Jour de l'An sur la plage de Muizenberg au Cap, 1 janvier 2015.

De violentes insultes à connotation raciste postées sur les réseaux sociaux en Afrique du Sud, comparant les Noirs à des "singes" et appelant à "nettoyer" le pays des Blancs, provoquent l'émoi dans la "nation arc-en-ciel", qui peine à se défaire de ses démons 22 ans après la fin de l'apartheid.

Irritée par les détritus laissés sur les plages lors des festivités du Nouvel An, une agente immobilière blanche de la province du KwaZulu-Natal (est), Penny Sparrow, se lâche sur Facebook: "J'appellerai désormais les Noirs sud-africains des singes, puisque les adorables petits singes sauvages font la même chose qu'eux: ramasser et jeter les déchets".

Un analyste économique, Chris Hart, a lui été suspendu de l'établissement bancaire Standard Bank pour avoir dénoncé ce week-end dans un tweet la "haine" croissante "envers les minorités", en référence à la minorité blanche.

Les propos de Penny Sparrow et Chris Hart ont provoqué un tollé, alimentant la Une des journaux, mais aussi une surenchère en Afrique du Sud, traumatisée par des décennies de discrimination entre Blancs, Noirs, métisses et Indiens.

"Je veux nettoyer ce pays de tous les Blancs. Nous devons faire ce que Hitler a fait aux Juifs", a réagi sur Facebook un fonctionnaire, Velaphi Khumalo. Des déclarations qualifiées de "barbares et racistes" par les autorités locales.

Vingt-deux ans après l'élection du premier président sud-africain noir Nelson Mandela, ce flot d'injures "met en évidence le gros travail à faire pour que la réconciliation nationale soit une réalité", commente Mienke Steytler de l'Institut sud-africain des relations raciales (IRR), interrogée par l'AFP.

Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis 1994, a lui dénoncé l'"intolérance raciale" et porté "plainte pour outrage" contre plusieurs individus, dont Penny Sparrow et Chris Hart.

Velaphi Khumalo ne fait cependant pas partie des personnes visées par l'action en justice, a précisé à l'AFP le porte-parole du parti, Zizi Kodwa. "Nous avons porté plainte contre ceux qui ont commencé les commentaires offensants. Khumalo a simplement réagi", a-t-il justifié, "condamnant" cependant les propos du fonctionnaire.

L'IRR a immédiatement dénoncé la "discrimination inacceptable" faite par l'ANC entre les auteurs de commentaires racistes, préjudiciable à la réconciliation.

- La "sagesse de Mandela" -

Le parti au pouvoir s'est aussi déclaré favorable à une législation "pour criminaliser les actes qui perpétuent le racisme et glorifient l'apartheid".

"Ces individus doivent être punis car ils font reculer l'Afrique du Sud", a insisté Zizi Kodwa, affirmant que le pays "n'avait jamais été aussi polarisé racialement qu'aujourd'hui".

En 2000, 72% des Sud-Africains estimaient que les "relations raciales s'amélioraient". Ils n'étaient plus que 39% en 2012, selon une enquête de la présidence sud-africaine.

Criminaliser le racisme n'est cependant pas la clé, avance la Fondation Nelson Mandela. "Nous devons suivre la sagesse de Nelson Mandela: +La réconciliation est un processus spirituel qui nécessite plus qu'un cadre juridique. Elle doit se faire dans les coeurs et les têtes+", estime le président de la Fondation, Sello Hatang.

"Certaines personnes sont prises au dépourvu (par les réactions à leurs commentaires racistes), et c'est seulement quand elles sont critiquées, qu'elles présentent rapidement des excuses", regrette-t-il.

Penny Sparrow a annulé son post et présenté, très maladroitement, des excuses: "Je suis vraiment désolée. J'ai commis une erreur dans le choix de mes mots. Je ne veux pas mettre cela sur le compte de mon diabète, mais je pense que cela affecte mon raisonnement."

Très embarrassé, le principal parti d'opposition, l'Alliance démocratique, dont Penny Sparrow est membre, a réagi en la suspendant et en l'accusant de "déshumaniser les Sud-Africains noirs".

Velaphi Khumalo a également présenté ses excuses, estimant que ses propos "ne reflétaient pas l'idéologie d'une société démocratique qui est notre idéal".

"Avec les réseaux sociaux, les gens disent des choses qu'ils ne diraient pas nécessairement en face", constate Mienke Steytler.

La situation économique contribue aussi à nourrir le racisme. "Plus l'économie est en berne, plus les gens s'en prennent aux autres", ajoute-t-elle, alors que l'Afrique du Sud se débat avec une croissance faible et un chômage élevé.

"Nous vivons dans une nation arc-en-ciel superficielle depuis 1994", estime Ronald Lamola, ancien numéro 2 de la Ligue de jeunesse de l'ANC. "Il n'y aura pas d'harmonie raciale sans égalité économique", prévient-il. La majorité noire compte aujourd'hui 28% de chômeurs, et la minorité blanche, 10%.

Avec AFP