Un procès anti-corruption sans précédent s'ouvre lundi en République démocratique du Congo avec sur le banc des accusés le principal allié du chef de l'Etat Félix Tshisekedi, son directeur de cabinet Vital Kamerhe, au coeur des jeux de pouvoir depuis près de 20 ans.
En détention préventive à Kinshasa depuis le 8 avril, M. Kamerhe, 61 ans, est poursuivi avec deux autres personnes pour le détournement présumé de plus de 50 millions de dollars.
"Jamais dans l’histoire politique congolaise de ces deux dernières décennies, un acteur aussi important de la scène politique ne s’est retrouvé derrière les barreaux", résument les experts du Groupe d'études sur le Congo (GEC) de l'Université de New York.
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Les poursuites contre Vital Kamerhe entrent dans le cadre d'une vaste enquête anti-corruption supposée marquer le "renouveau" de la justice congolaise dans la lutte contre la corruption et l'impunité des élites depuis l'indépendance le 30 juin 1960.
Ancien président de l'Assemblée nationale, principal allié du président Félix Tshisekedi dans sa conquête du pouvoir, Vital Kamerhe est convoqué devant les juges du tribunal de grande instance de Kinshasa Gombe, avec un entrepreneur et un autre responsable de la présidence.
Le procès devait s'ouvrir vers 10H00 GMT en "audience foraine", c'est-à-dire délocalisée dans l'enceinte même de la prison de Makala où il est incarcéré.
La chaîne d'Etat RTNC et une autre télévision, Canal Futur, devraient retransmettre le procès, d'après des sites d'information congolais.
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M. Kamerhe est bien plus qu'un simple collaborateur du chef de l’État. Natif du Sud-Kivu (est), le président de l'Union pour la nation congolaise (UNC) s'était désisté en faveur de Félix Tshisekedi avant l'élection présidentielle du 30 décembre 2018, qui a marqué la première alternance pacifique dans l'histoire de la RDC.
Les deux hommes ont scellé un accord politique pour constituer leur plate-forme Cap pour le changement (Cach), qui gouverne la RDC en coalition avec les forces politiques de l'ex-président Joseph Kabila, toujours majoritaires au Parlement et dans les autres instituions de la République.
Signal fort ou manoeuvre
Cet accord signé à Nairobi en novembre 2018 prévoit même que M. Kamerhe, qui a déjà tenté sa chance en 2011, soit candidat à la présidence de la République en 2023.
Le parti de M. Kamerhe compte plusieurs ministres dans ce gouvernement de coalition dont un est également dans le viseur de la justice. Le ministre de la Formation professionnelle John Ntumba est également soupçonné de détournement de fonds.
Nommé directeur de cabinet au lendemain de l'investiture du président Tshisekedi le 24 janvier 2019, Vital Kamerhe doit s'expliquer sur l'utilisation de fonds publics destinés au financement des grands travaux lancés le 2 mars 2019 par le chef de l’État et dénommés "programme d'urgence des 100 jours".
Considéré comme l'ordonnateur des dépenses, M. Kamerhe est soupçonné du détournement des fonds destinés à la construction de logements sociaux (4.500 maisons préfabriquées).
Il nie ces accusations. Il estime que tous les marchés publics ont été "hérités" du précédent gouvernement, affirmant qu'"aucun contrat de marché public de gré à gré ne porte sa signature", selon l'ordonnance de rejet de sa demande de remise en liberté provisoire du 11 avril.
Si son arrestation est présentée comme un signal fort dans la lutte contre la corruption des élites, une partie de l'opinion reste sceptique et évoque un règlement de compte au sein de la coalition ou une manoeuvre.
Au lendemain de son incarcération, les élus du parti de M. Kamerhe avaient dénoncé "l'arrestation arbitraire" et l'"humiliation" subie par leur chef de file.
Sur les réseaux sociaux, ses partisans dénoncent une affaire visant à l'écarter de la présidentielle de 2023.
Incarcéré depuis le 8 avril, M. Kamerhe n'a pas démissionné de son poste de directeur de cabinet, ni a été révoqué.
Cette affaire "ne représente pourtant qu’une partie du +programme d’urgence pour les 100 premiers jours du chef de l’État+", affirme les experts du GEC, selon qui d'autres enquêtes "portent sur des projets couvrant plus de 70% du budget initial du programme. Des projets qui peinent à être menés jusqu’au bout, en raison notamment des possibles détournements des fonds".