Sur la vidéo, un jeune homme se roule à terre, se vide de son sang. Tout près, un autre est étendu dans une mare de sang. Des pleurs de femmes résonnent dans la nuit de Goma, dans l'Est de la République démocratique du Congo. Comme chaque matin, la ville se réveille et de bouche à oreille se transmet le décompte des morts, des victimes des pillages et des agressions sexuelles de la nuit.
Lire aussi : Retrait de la Monusco de RDC: les Casques bleus chinois sur le départ"Qui a tué? Qui a été tué? C'était dans quel quartier?", s'interrogent les habitants dans des groupes de discussions en ligne, où circulent à longueur de journée des vidéos de cadavres et de blessés à l'agonie. Ces échanges sont entrecoupés de "Mungu wangu!" (Oh mon Dieu!, en swahili), comme un cri d'impuissance face à la montée des actes criminels dans le chef-lieu du Nord-Kivu, aujourd'hui encerclé par les rebelles du M23 et des unités de l'armée rwandaise.
Goma compterait plus d'un million d'habitants et près d'un million de déplacés de guerre, entassés dans des camps insalubres aux sorties de la ville, devenues lignes de front. "Trois morts!", lâche à l'AFP un policier du quartier Majengo, où les jeunes de la vidéo se sont fait tuer mardi soir, alors qu'ils regardaient le match Real Madrid-Manchester City dans une échoppe.
Sur place, tout le monde est formel: "C'est un militaire de la Garde républicaine qui les a tués". "Il voulait leur ravir leurs téléphones", raconte Christian Kalamu, un responsable de la société civile locale. "Ils auraient résisté et il a tiré sur eux", poursuit-il.
La Garde républicaine est une composante théoriquement d'élite de l'armée congolaise, dont des éléments sont déployés dans l'Est pour tenter de démettre les rebelles qui, avec l'appui du Rwanda, se sont emparés ces deux dernières années de larges pans du Nord-Kivu.
"Ils nous tirent dessus"
Mises en déroute, les FARDC (Forces armées de la RDC) ont fait appel aux principaux groupes armés de la zone, contre lesquels elles se battaient quelques mois plus tôt, afin de faire front face à l'ennemi commun. Recyclés sous l'appellation "wazalendo" (patriotes), dans l'idée de gommer le passé de criminels de guerre de certains, ces miliciens reçoivent armes et munitions de la part des autorités, avec qui ils coordonnent également les opérations, selon différents rapports, de l'ONU notamment.
Fin mars, le président congolais Félix Tshisekedi déclarait à des journalistes à propos des wazalendo: "Ce sont des citoyens lambda comme vous et moi, qui se sont organisés eux-mêmes".
Acculés dans Goma, ces milliers d'hommes armés se retrouvent en divagation dans la ville et ses faubourgs. "La nuit, ils nous tirent dessus dans nos abris", se plaint une femme déplacée sous couvert d'anonymat. Parmi les agresseurs, "il y a les soldats du gouvernement, mais aussi les policiers, les wazalendo et certains jeunes de la ville", continue-t-elle, "ils sont tous mélangés".
"Certains fréquentent les débits de boisson dans les camps, et en état d'ébriété, ils se mettent à tirer à cause de malentendus entre eux ou entre eux et des civils", explique Safari Mbalibukira, le chef du quartier Mugunga, à l'ouest de la ville. "S'ils convoitent un téléphone, un poste de radio, de l'argent ou tout autre bien, les militaires et les wazalendo ne tolèrent aucune résistance", explique un jeune homme déplacé.
Excédés, le 5 mars dernier, des déplacés ont lynché et brûlé un milicien qu'ils accusaient d'avoir violé une femme, puis d'avoir tué un déplacé qui refusait de se faire dépouiller. "On est passé de simples vols à des actes véritablement criminels, incluant des assassinats et des viols", analyse Onesphore Sematumba, habitant de Goma et chercheur pour l'International Crisis Group, un centre de recherche international basé en Belgique. "Les wazalendo sèment l'insécurité en extorquant des biens sous couvert d'immunité due à leur engagement 'patriotique'", poursuit le chercheur.
Mercredi, en pleine journée et à quelques centaines de mètres du bureau du gouverneur, un groupe d'hommes armés a ouvert le feu sur un 4x4 noir et tué ses trois occupants. Une femme qui passait à proximité sur une moto a également été tuée. Le lendemain, le maire de Goma a présenté devant la presse trois militaires et deux wazalendo comme étant les auteurs de ces tirs. Sur le sol étaient disposées les armes qui auraient servi à la fusillade. Parmi celles-ci, un fusil d'assaut d'un modèle et d'une couleur caractéristiques des forces spéciales de la Garde républicaine.