Après que Donald Trump a accusé mardi le géant de la tech de truquer les résultats de son moteur de recherche au détriment des conservateurs et a fait planer le doute sur de potentielles mesures, les experts estiment que Google (filiale d'Alphabet) et les autres sociétés internet bénéficient des mêmes droits constitutionnels que la presse sur la liberté d'expression.
Cette protection exclut, selon eux, toute possibilité d'interférence d'un président en désaccord avec les résultats proposés lors des recherches effectuées sur la toile.
"Les choix éditoriaux d'un moteur de recherche sont assez similaires aux choix éditoriaux" des entreprises de presse traditionnelles, commente Eugene Volokh, professeur de Droit à l'Université UCLA de Los Angeles et auteur en 2012 d'un livre blanc sur la protection constitutionnelle des moteurs de recherche.
Dans un post de blog publié sur le site Reason.com, il affirme que les algorithmes développés notamment par Google représentent "des jugements éditoriaux sur ce que les internautes sont supposés trouver intéressant et utile. Et tout ce travail est totalement protégé par le premier amendement" à la Constitution qui garantit notamment la liberté d'expression et de la presse.
- Premier amendement -
"Les moteurs de recherche sont pleinement admissibles aux protections du premier amendement concernant les résultats des requêtes. De nombreux cas remontant à plus de 15 ans l'ont confirmés", renchérit Eric Goldman, co-directeur de la division "high tech" de la faculté californienne de droit de Santa Clara.
"Toute tentative de Trump de +corriger+ les résultats des moteurs de recherche violerait le premier amendement. La question ne se pose même pas", ajoute-t-il.
Les commentaires de M. Trump ont toutefois alimenté un débat sur ce que le président a appelé les résultats "truqués", le président estimant qu'il y avait davantage de propositions liées à des médias "de gauche" qu'à des sites conservateurs.
Ses affirmations font suite aux critiques du chef de la majorité à la chambre des Représentants, le républicain Kevin McCarthy ayant estimé que les "conservateurs voient trop souvent leurs opinions rendues silencieuses" sur internet.
Le locataire de la Maison Blanche a réitéré ses critiques mercredi, arguant que "Google, Facebook et Twitter, je pense qu'ils traitent les conservateurs et les républicains très injustement".
Les observateurs estiment toutefois qu'il serait dangereux de changer le fonctionnement des moteurs de recherche pour satisfaire un gouvernement ou une faction politique.
"Google est une entreprise privée avec ses algorithmes propres et le gouvernement n'a absolument aucun contrôle sur sa manière de gérer ses affaires" insiste Ken Paulson, ancien journaliste pour le quotidien USA Today, désormais président du First Amendement Center de l'Institut Newseum.
Selon lui, la véritable menace "survient lorsque l'homme le plus puissant du monde répète inlassablement qu'on ne peut faire confiance qu'à lui et non aux entreprises de presse ou aux moteurs de recherche".
- Concept "orwellien" -
Même sans la protection constitutionnelle, la tentative de réglementer les milliards de requêtes sur Google serait en outre une tâche impossible.
"Volontairement nous ne régulons pas chacune des interactions dans l'économie car nous savons que c'est inconcevable", explique David Balto, un ancien avocat au sein de la Commission à la concurrence (FTC) et au ministère de la Justice.
M. Balto estime que la critique de M. Trump est "un concept +orwellien+ qui aurait sans doute eu sa place dans +1984+ (le roman de George Orwell, devenu une figure métaphorique du régime policier et totalitaire, NDLR), mais est totalement incompatible avec nos principes de démocratie".
D'autres spécialistes affirment que les commentaires de M. Trump servent à rassembler sa base électorale et à jeter l'opprobre sur les médias qui enquêtent actuellement sur lui.
"Les régimes autoritaires rêveraient d'avoir le pouvoir de contrôler les moteurs de recherche", avance Ed Black, à la tête de la Computer and Communication Industry Association, une organisation qui vise à promouvoir l'industrie informatique, et compte Facebook et Google parmi ses membres.
"Le gouvernement américain devrait s'élever contre ce type de censure", conclut-il.
Avec AFP