En cette fin mars, il pleut à grosse gouttes et la nuit va bientôt tomber sur la piste de l'aéroport de Lagos, mais l'ambiance est quasiment hystérique dans le petit bus qui emmène les jeunes fraîchement débarqués de l'avion vers les contrôles d'immigration. Ils applaudissent à tout rompre et saluent les badauds.
"Je suis tellement heureux (d'être rentré), j'ai l'impression d'avoir gagné au loto", affirme Osapolor Osahor.
Ce jeune styliste de 24 ans raconte avoir vécu l'enfer à Tripoli: "Partout, (on entend) des coups de feu, plus d'un millier de personnes ont été tuées, des Noirs sont tués tous les jours, certains sont en prison depuis tellement longtemps, six mois, sept mois, moi aussi j'ai été jeté en cellule".
En moins de deux mois, c'est le quatrième avion en provenance de Libye qui ramène des migrants nigérians chez eux. Depuis le début de l'année, 660 personnes ont déjà ainsi bénéficié du programme d'aide au retour volontaire et à la réintégration proposé par l'Organisation internationale des migrations (OIM) en partenariat avec les autorités nigérianes - contre 867 sur l'ensemble de 2016.
Ce sont surtout des migrants économiques, voulant tenter leur chance en Europe en remontant jusqu'aux côtes méditerranéennes via le Niger. Mais avec la guerre civile qui fait rage en Libye, beaucoup se retrouvent pris au piège des violences, quand d'autres sont arrêtés et détenus par des milices avant d'avoir pu tenter la traversée de la Méditerranée.
- "Monter un petit commerce" -
Parmi les 155 personnes arrivées ce soir-là, Ozoa, allongé sur un brancard, ne chante pas. Il ne sourit pas non plus. Ce jeune mécanicien avait rejoint l'an dernier le port de Zaouia, l'un des principaux points de départ des migrants, à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Tripoli.
Le regard vide, le jeune homme de 30 ans refuse de parler aux journalistes. Il sait qu'il ne remarchera jamais.
"Il s'est retrouvé pris entre deux feux, et il a reçu une balle dans le dos, en plein dans la colonne vertébrale", explique le Dr Aladin Abokhsoom, qui a fait le trajet avec lui depuis Tripoli. Ozoa va être transféré dans un hôpital de Lagos pour y subir une opération censée déloger la balle de son corps.
Pour lui et sa famille - qui a fait le chemin depuis l'Etat d'Edo (sud du Nigeria) pour l'accueillir - l'avenir est désormais en suspens. "Nous avons vendu tout ce que nous possédions pour payer son voyage jusqu'en Europe, j'ai vendu ma terre, au total j'ai dépensé 950.000 nairas (près de 2.800 euros)", explique dépité son frère aîné, Abu Zika, "qu'allons-nous faire?
L'OIM donne 20.000 nairas à chacun des "retournés" volontaires pour leur permettre de rentrer chez eux, la plupart étant originaires du sud du pays. Ozoa et une vingtaine d'autres personnes considérées comme vulnérables - des mineurs non accompagnés et des femmes enceintes notamment - recevront en outre 1.000 livres sterlings (environ 1.150 euros) en nature.
L'objectif est de leur permettre de "monter un petit commerce de leur choix, comme un salon de coiffure ou un petit kiosque ou de trouver une autre voie de réintégration au Nigeria", explique Julia Burpee, responsable de la communication pour l'OIM au Nigeria.
"Ces gens qui pensent que l'herbe est plus verte ailleurs, devraient plutôt regarder chez eux et survivre ici, parce que nous pouvons construire un Nigeria plus fort et alors les autres pays envieront à leur tour notre économie", assure Abdulahi Bandele Onimode, un responsable de l'Agence nationale de gestion des crises (Nema).
Mais si ceux qui rentrent au pays après de cruelles désillusions en Libye sont de plus en plus nombreux, ils ne représentent qu'une proportion dérisoire des migrants partis pour de bon et les humanitaires craignent que beaucoup ne tentent l'aventure par d'autres voies.
En 2016, les Nigérians étaient ainsi 37.551 à avoir rejoint les côtes italiennes, selon l'OIM, soit le plus important contingent africain devant les Erythréens, les Ivoiriens ou encore les Gambiens. Un chiffre qui a quadruplé depuis 2014, où 9.000 personnes étaient arrivées du Nigeria en Italie.
Avec AFP