Ousman Sonko, 55 ans, "est condamné à une peine privative de liberté de 20 ans", a déclaré la greffière du Tribunal pénal fédéral à Bellinzone, dans le sud-est de la Suisse. La Cour prononce aussi son expulsion – une fois la peine exécutée – du territoire suisse pour 12 ans, et le contraint à s'acquitter d'une réparation envers les parties civiles. Il peut faire appel devant ce même tribunal.
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Le parquet fédéral avait requis sa réclusion à perpétuité, pour des crimes contre l'humanité allant de 2000 à 2016, l'accusant d'avoir agi d'abord en tant que membre de l'armée, puis en tant qu'inspecteur général de la police et enfin comme ministre. Lors du procès, qui s'était déroulé en janvier et mars, la défense avait plaidé l'acquittement.
La Cour l'a déclaré "coupable d'homicides volontaires répétés, d'actes de torture répétés et de privations de liberté répétées, infractions réprimées au titre de crimes contre l'humanité". Elle a conclu qu'il a commis ces infractions "dans le cadre d'une attaque systématique contre la population civile", soulignant qu'il "était un proche de confiance du président gambien de l’époque Yahya Jammeh, qui a dirigé la Gambie de manière répressive entre 1994 et 2016".
"Affaire historique"
Une partie des chefs d'accusation, qui concluent au viol en tant que crime contre l'humanité, ont été classée, la Cour "ne pouvant établir aucune attaque contre la population civile à cet égard".
"Cette affaire historique envoie un message d'avenir dans la lutte contre l'impunité: les auteurs de crimes graves, même de rang ministériel, sont désormais à la portée de la justice", a réagi, sur le réseau social X, Philip Grant, le directeur de l'ONG TRIAL International, à l'origine de la procédure. Ousman Sonko avait été arrêté le 26 janvier 2017 en Suisse où il avait demandé l'asile après avoir été démis de ses fonctions ministérielles qu'il a occupées pendant 10 ans, jusqu'en septembre 2016.
"La condamnation d'Ousman Sonko, l'un des piliers du régime brutal de Yahya Jammeh, est une étape importante sur le long chemin qui mène à la justice pour les victimes de Jammeh", a réagi auprès de l'AFP Reed Brody, un avocat de la Commission internationale des juristes qui travaille avec les victimes de Jammeh. "Le long bras de la loi rattrape les complices de Yahya Jammeh dans le monde entier et, espérons-le, rattrapera bientôt Jammeh lui-même", a-t-il ajouté, indiquant qu'il y a déjà eu une condamnation en Allemagne et qu'un "autre procès approche aux Etats-Unis".
"Pas encore prescrits"
En Suisse, c'est la première fois que la notion de crime contre l'humanité – des crimes commis dans le cadre d'une attaque de grande ampleur visant des civils – était abordée en première instance. Selon la défense, les conditions du crime contre l'humanité n'étaient pas remplies. Elle estime que les faits retenus par le parquet étaient des actes isolés dans lesquels l'ex-ministre de l'Intérieur ne porte aucune responsabilité, pointant du doigt l'Agence nationale de renseignements (NIA) et les Junglers, un groupe paramilitaire.
La défense considère aussi que certains éléments de l'acte d'accusation échappent à la législation suisse car ils sont antérieurs à 2011, date depuis laquelle la Suisse se reconnaît une compétence universelle pour juger certains crimes graves en vertu du droit international. C'est également en 2011 que les crimes contre l'humanité ont été inscrits dans le droit suisse. Selon la Cour, les dispositions pénales de crimes contre l'humanité entrées en vigueur le 1er janvier 2011 trouvent application, même si une partie des faits reprochés remonte jusqu'à l’année 2000, "dès lors que les homicides volontaires, les actes de torture et de privation de liberté n'étaient à ce moment-là pas encore prescrits".
En Gambie, le gouvernement gambien a endossé en 2022 les recommandations d'une commission qui s'est penchée sur les atrocités perpétrées sous l'ère Jammeh. Les autorités ont accepté de poursuivre 70 personnes, dont M. Jammeh, parti en exil en Guinée équatoriale en janvier 2017.