De l'Afrique à la Nouvelle-Orléans en cuisine
"Bienvenue à notre table, c'est un repas familial, on mange tous ici avant le début du repas", lance Serigne Mbaye. Il parle à son équipe de ce qu'ils vont servir ce soir. "Alors pour ce soir, on a 21 personnes, ça va être génial, et n'oubliez pas que l'on a une journaliste culinaire qui vient aussi", rappelle-t-il à ses employés.
Le chef sénégalais est maintenant habitué à organiser ses repas mensuels avec son restaurant éphémère "Dakar-Nola". La vingtaine, l'oeil vif et le sourire toujours aux lèvres, il raconte comment il est tombé dans la cuisine quand il était petit.
"J'ai commencé à cuisiner pendant que j'étais au Sénégal", explique-t-il. Né dans le quartier d'Harlem à New York, Serigne Mbaye est parti au Sénégal à l'âge de 5 ans. Là-bas, il développe "son amour pour la cuisine" et à l'adolescence, quand il revient à New York, il continue à s'intéresser à la cuisine aux côtés de sa mère. "Ma mère cuisinait pour la communauté, ça nous a permis de nous retrouver", confie-t-il.
Le chef travaille à temps complet pour Mosquito, un restaurant dans le quartier "Up Town" de la ville. Mais une fois par mois, la propriétaire lui confie les clés de la maison pour développer son propre projet: apporter un petit bout du Sénégal dans les assiettes de la Nouvelle-Orléans.
"Dakar-Nola propose une cuisine sénégalaise avec une touche moderne", ajoute le chef, soulignant que "notre menu raconte l'histoire du lien culturel profond entre la Sénégambie et la Nouvelle-Orléans à travers notre menu". Ce mélange d'ingrédients sénégalais avec des plats locaux plaît, à tel point qu'aucune réservation - à partir de 150 dollars - n'est disponible pour les mois à venir.
A 28 ans, Serigne Mbaye voit les choses en grand. Bientôt, il ouvrira son restaurant, et ce n'est qu'une question de temps. Car le talent, il l'a conquis depuis déjà longtemps. "J'ai travaillé pour Dominique Crenn à San Francisco", dit-il en passant. Dominique Crenn, une cheffe étoilée dans la baie, est très réputée dans le milieu gastronomique. L'avoir dans son CV est prestigieux, et ses années passées à travailler auprès des plus grands se sent dans ses plats.
Après avoir passé du temps dans les cuisines en Espagne et aux Etats-Unis, c'est à la Nouvelle Orléans qu'il a décidé de poser ses valises, après avoir perdu son emploi à New York pendant la pandémie.
"Beaucoup de plats de la Nouvelle-Orléans ont été influencés par l'Afrique de l'Ouest", explique-t-il. "Je vois beaucoup d'influence sénégalaise ici, et quand je cuisine, j'essaie de montrer mon respect à l'endroit d'où je viens, et où je suis aujourd'hui", raconte-t-il.
"Au Sénégal, nous avons un plat qui s'appelle 'soupe kandia', qui est une soupe, et ici nous avons un plat qu'on appelle le 'Gumbo', avec de l'okras (gombo), c'est exactement ce que je fais avec ma cuisine", décrit-il.
Il est 18h30 et les 21 personnes prévues sur les deux tables communales sont au rendez-vous. Le partage, la famille et de bons plats,... C'est cette ambiance qui prime à Dakar-Nola, une atmosphère inspirée de l'histoire du chef. L'espace du restaurant, dans une maison, reflète ses valeurs. "J'adore cet endroit", glisse le chef. A l'accueil, les invités montrent leurs cartes de vaccination avant de trouver leur place dans la salle à manger. Ils y découvrent les menus, posés sur leurs assiettes, pour commencer à saliver.
Avec le célèbre "beignet" de la Nouvelle Orléans en entrée, le chef a décidé d'éveiller les papilles avec une soupe de pois-chiches et haricots pour accompagner le crabe, des crevettes en soupe, une salade à base de millet d'Afrique de l'Ouest, et pour finir en beauté, un ataya à la noix de coco et à l'ananas en guise de dessert.
Assise en bout de table, Kayla Stewart, une journaliste culinaire, explique qu'elle suit"Serigne Mbaye depuis quelque temps", ajoutant qu'elle est venue du Texas pour assister à un de ses repas gastronomiques. "J'ai donc hâte de découvrir ce qu'il nous a préparé", confie-t-elle avec un grand sourire.
Dans les cuisines, le chef et son sous-chef s'activent à préparer les assiettes. "J'ai passé ma journée à cuisiner, donc on ne fait que de la mise en place et des cuissons de dernières minutes", lance-t-il alors qu'il pose la salade au fond d'une assiette beige.
Dans la salle, un couple finit tout juste leurs plats. Vaughn Fauria était dans les premières arrivées du soir. Elle explique qu'elle serait intéressée pour investir dans un restaurant avec le jeune chef. "Non seulement je n'ai pas été déçue, mais c'était absolument incroyable, de voir à quel point cette nourriture est merveilleuse, parce qu'il est si facile d'identifier chaque élément", témoigne-t-elle, avant d'ajouter: "C'est tellement délicieux".
Your browser doesn’t support HTML5
Les Black Indians de la Nouvelle Orléans
Non loin de là, Darryl Montana se prépare activement pour samedi, le jour de la Saint-Joseph pour les Indians Noirs masqués, une ancienne tradition africaine qui a perduré jusqu'à nos jours. "Je suis le chef de la tribu des Yellow Pocahontas, la 4e génération de ma famille", déclare fièrement le "chief", entouré des nombreux costumes faits main.
Les Indiens de Mardi Gras sont composés, en grande partie, des communautés afro-américaines du centre-ville de la Nouvelle-Orléans. Bien que ces Indiens défilent depuis plus d'un siècle, leur défilé est peut-être la tradition de Mardi Gras la moins connue.
Les organisations traditionnelles forment une "krewe" qui nomme souvent son défilé d'après un héros ou un dieu mythologique romain ou grec particulier. La structure de classement d'un Mardi Gras Krewe est une parodie de la royauté : roi, reine, ducs, chevaliers et capitaines, ou une variante de ce thème. Bon nombre des krewes les plus établies autorisent l'adhésion sur invitation uniquement.
Historiquement, peu de personnes noires pensaient pouvoir participer au défilé typique de la Nouvelle-Orléans, l'esclavage et le racisme étant à l'origine de cette séparation culturelle. Les quartiers noirs de la Nouvelle-Orléans ont progressivement développé leur propre style de célébration du Mardi Gras. Leurs krewes portent le nom de tribus indiennes imaginaires selon les rues de leur quartier ou des différentes familles.
Les Indiens de Mardi Gras se sont nommés d'après les Indiens indigènes pour rendre hommage à leur aide pour échapper à la tyrannie de l'esclavage. Ce sont souvent les Indiens locaux qui ont accepté les esclaves dans leur société.
Aujourd'hui, lorsque deux tribus indiennes du Mardi Gras se croisent, notamment lors de la Saint-Joseph, elles s'affrontent d'une manière théâtrale, avec des danses et des chants. Le style et le costume de chaque tribu sont exposés de manière amicale mais compétitive. Ils comparent l'art et l'artisanat de l'autre. "J'ai créé un nouveau costume chaque année", explique Darryl Montana, "tout comme mon père l'a fait avant moi".
La méthode de tissage et de couture est un travail d'orfèvre, et chaque détail y est pensé par le créateur. Ce sont des milliers d'heures de travail que Darryl Montana a du mal à comptabiliser, estimant qu'il passe "en moyenne, près de 5000 heures" pour une seule création.
"Quand j’ai commencé, j’ai essayé d’être plus créatif avec la coiffure, je dis toujours que quand je fais une couronne, c’est la première fois que j’en vois une comme ça", souligne-t-il, décrivant la manière dont il imagine son costume, qu'il veut unique en son genre. "On a peut-être vu des couronnes avant, mais pas comme celles que je fais. Tout ceux qui me connaissent savent que faire des couronnes, c’est mon talent", insiste-t-il.
Ce talent, il l'a acquis auprès de son père, qui "s’est masqué pendant 52 ans jusqu’à sa mort". "J’ai continué à me masquer sans lui et il y a un vide mais je dois continuer, c’est ma responsabilité en tant que chef, pour le quartier, de préserver cette culture", estime-t-il.
Sur Congo Square, près du French Quarter, Darryl Montana regarde la statue de son père Allison Montana, portant un des costumes de mardis gras des "Black Indians". "Mon père cousait et s'appliquait pendant des nuits entières, avant d'aller travailler le lendemain, c'était un travailleur, il m'a montré l'exemple", confie son fils.
Your browser doesn’t support HTML5
Miriam, la prêtresse vaudou
Le vaudou est incontournable à la Nouvelle-Orléans. Cette religion traditionnelle de l’ancien royaume d’Abomey, devenu le Benin, a été transplantée avec les centaines de milliers d’esclaves venus d’Afrique vers les plantations de la Louisiane. A leur arrivée aux Etats-Unis, ces esclaves ont presque tout perdu. Ils ont été christianisés de force, leurs noms ont été changés suivant la volonté de leurs nouveaux maîtres blancs. Malgré cette intégration forcée, le culte vaudou a survécu à travers les siècles et reste vivace aujourd’hui à la Nouvelle-Orléans.
Aux abords du French Quarter, Miriam Williams, prêtresse du culte Vaudou qui se fait appeler "Prêtresse Miriam Chamani", ouvre les portes de son temple à tous. A 79 ans, cette pratiquante originaire du Mississippi a ouvert ce qu’elle appelle son "Temple spirituel du vaudou" il y a plus de 30 ans.
Miriam reste mystérieuse quand on lui demande ce qu'est le vaudou pour elle. "Le vaudou, c'est humain, c'est l'expérience", dit-elle au passage, alors qu'elle manipule ses os. "Ceci est ma table d'opération", dit-elle. Sur cette table, des traits et des symboles sont tracés sur un tissu vert. C'est sur ce présentoir qu'elle jette ses "os africains" pour ouvrir la porte sur le futur de ses clients.
Derrière sa table se trouve une grande cage où son boa, qu'elle a depuis 32 ans, dort paisiblement. Son salon est rempli d'objets posés sur les étagères, épinglés au mur. Dans les masques africains, des billets de 1 dollar dégueulent de leurs bouches. "Ce sont des offrandes", explique-t-elle sans donner plus de détails.
Au centre de la Nouvelle-Orléans, de nombreux magasins sont accessibles pour les touristes. "Achat de sortilèges", "huile à succès", et autres panneaux tapissent les vitrines des magasins qui se disent spécialisés dans le vaudou. Des tours de vaudou sont également organisés dans le célèbre cimetière de la Nouvelle-Orléans.
Le vaudou, mythe ou réalité ? Quelques personnes pratiquent encore le vaudou de nos jours à la Nouvelle Orléans. Les magasins qui vendent les "gris-gris" ne désemplissent pas, et de nombreux touristes achètent les tours vaudous pour vivre pendant quelques heures, au rythme de cette religion qui y a ancré ses racines à jamais.
Your browser doesn’t support HTML5