Image absolument inimaginable pendant des décennies : le président des Etats-Unis a échangé une longe poignée de main avec son homologue cubain, de 30 ans son ainé, au palais de la Révolution de La Havane, puissant symbole de la lutte contre "l'impérialisme américain".
Tout sourire, les deux hommes ont échangé quelques mots devant les journalistes - "Nous avons fait une belle visite hier" dans la vieille ville, a lancé M. Obama - avant que les hymnes des deux anciens pays ennemis ne retentissent dans l'imposant bâtiment.
Il se sont ensuite retiré pour un entretien à huis-clos à l'issue duquel ils devaient s'exprimer devant la presse.
La pluie battante sous laquelle a été accueilli le président américain dimanche avait cédé la place lundi à un ciel gris et couvert.
Premier président américain en exercice à se rendre à Cuba depuis 88 ans, Barack Obama, qui quittera le pouvoir en janvier 2017, souhaite mettre à profit cette visite pour rendre irréversible le processus de rapprochement.
Les Cubains sont contents de cette visite du président Obama, mais ce n'est pas une bonne opportunité pour aborder la question des droits de l’Homme avec les dissidents.Professeure Yudith Ugade
"L’ambiance dans les rues de la Havane est joyeuse. En général, les Cubains sont contents de cette visite du président Obama", a confié à VOA Afrique professeure Yudith Ugade qui travaille et réside à La Havane.
Toutefois, a-t-elle, poursuivi, il ne s’agit pas d’une bonne opportunité pour aborder la question des droits de l’Homme avec les dissidents.
"Les dissidents du régime ne représentent pas la majorité. La question doit être posée mais de manière générale avec le peuple cubain et non pas seulement avec un petit groupe qui se dit opposant. Les gens ont envie de fermer cette porte qui nous a éloigné depuis plus de 50 ans du peuple américain et ouvrir une nouvelle porte qui doit représenter un bon avenir pour le peuple cubain, pour la jeunesse cubaine qui veut plus de liberté, pas seulement d’expression mais aussi d’accès à la formation, pour l’amélioration du pouvoir d’achat. On sait que les choses ne vont pas changer du jour au lendemain parce que c’est un processus long mais on garde l’espoir qu’on n’avait pas auparavant. Aujourd’hui on commence à voir que tout est possible", a observé professeure Ugade.
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-Interpellations-
Les interpellations menées dimanche lors du défilé du mouvement dissident des Dames en Blanc, quelques heures à peine avant son arrivée, ont sonné comme un rappel du caractère répressif du régime communiste.
"Le changement arrive ici et Raul Castro en est conscient", a souligné M. Obama sur ABC tout en reconnaissant qu'il n'interviendrait pas "du jour au lendemain".
Soulignant l'existence de "divergences profondes sur les droits des l'homme et les libertés individuelles" avec le régime cubain, M. Obama a une nouvelle fois martelé sa conviction que sa visite à Cuba était "le meilleur moyen de favoriser plus de changement".
Avant de se rendre au palais de la Révolution, M. Obama avait rendu un hommage à José Marti, père de l'indépendance cubaine, lors d'une brève cérémonie à laquelle n'assistait pas le président cubain, qui ne s'était pas non plus déplacé à l'aéroport dimanche.
La Une sans emphase du quotidien officiel cubain Granma - "Obama en visite officielle à Cuba" - contribuait à renforcer l'idée d'une volonté de ne pas donner trop de relief à cette visite.
Fabian Rodriguez, chauffeur de taxi de 35 ans, regrettait amèrement les mesures mises en place par le gouvernement pour tenir les Cubains à distance du président américain.
"Je voulais vraiment le voir mais ils ne nous ont pas laissé la moindre chance", regrettait-il.
"Ils disent que c'est pour des raisons de sécurité mais il ne se serait rien passé, pas une pierre n'aurait été jetée", déplorait-il, soulignant que l'accès était nettement plus facile lors de la visite du pape François début février.
- Leader vieillissant -
Le président américain a invité plusieurs dissidents mardi à l'occasion d'une réunion avec la société civile, qui se déroulera à l'abri des murs de l'ambassade ou de la résidence américaine.
Raul Castro devrait, lui, une nouvelle fois plaider pour la suppression de l'embargo qui pénalise son pays depuis 1962.
Derrière la poignée de main et les sourires, la rencontre entre les deux hommes est aussi, à de nombreux égards, une bataille de symboles et d'images.
"D'un point de vue cubain, cette visite présente un risque", souligne Richard Feinberg, de la Brookings Institution, évoquant la comparaison peu flatteuse entre un leader blanc "vieillissant" et un président noir et "plein d'énergie" de 30 ans son cadet.
La résonance pourrait être particulièrement forte au sein de la communauté afro-cubaine, sous-représentée au sein des élites politiques cubaines.
A travers cette visite de trois jours, l'exécutif américain cherche aussi à affaiblir l'argument - mis en avant par le régime depuis des décennies - selon lequel Washington est responsable de tous les dysfonctionnements cubains.
En amont de la visite, la Maison Blanche a consenti de nouveaux assouplissements. Le Trésor américain a autorisé la chaîne hôtelière Starwood à ouvrir deux hôtels à La Havane, une première depuis la révolution castriste de 1959.
Mais La Havane veut davantage, et a manifesté le souhait d'accueillir des touristes américains, d'effectuer des transactions internationales sans entrave, ou d'attirer les investissements étrangers pour soutenir les réformes économiques lancées par Raul Castro.
Les deux pays ont rétabli leurs relations diplomatiques en juillet 2015, et Washington a rayé Cuba de sa liste des pays soutenant le terrorisme en mai, mais les contentieux restent de taille entre les deux anciens ennemis de la guerre froide.
Si un dîner d'Etat est prévu au palais de la révolution, aucune rencontre n'a été organisée avec l'ex-président Fidel Castro, âgé de 89 ans.
Avec AFP