Travail au Qatar: le vigile lanceur d'alerte s'inquiète de l'après-Mondial

Après avoir été emprisonné pendant quatre semaines dans l'émirat, Malcolm Bidali a été expulsé en 2021.

Malcolm Bidali, l'agent de sécurité kényan qui a dénoncé les conditions de travail au Qatar avant la Coupe du monde de football (20 novembre-18 décembre), s'inquiète de la situation "quand les caméras, les journalistes et les fans seront partis".

"Il ne restera plus que les travailleurs et leurs employeurs et ce sera encore plus dur de faire respecter les lois existantes", a-t-il estimé dans un entretien accordé à l'AFP, ajoutant qu'il "espère (se) tromper".

Sous le feu des critiques depuis qu'il a été désigné en décembre 2010 hôte du Mondial-2022, le Qatar a entrepris en 2018 d'importantes réformes de sa législation sur le travail, démantelant son système de parrainage des travailleurs migrants ou encore instaurant un salaire minimum d'environ 270 euros.

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L'Organisation internationale du travail (OIT) et les fédérations syndicales internationales qui ont négocié ces réformes saluent les progrès réalisés mais pointent encore des failles dans leur mise en oeuvre. Le Qatar, lui, assure vouloir poursuivre dans cette direction, grâce notamment à l'installation permanente de l'OIT sur son sol.

Après avoir été emprisonné pendant quatre semaines dans l'émirat puis expulsé en 2021, Bidali, qui est devenu militant à plein temps pour les droits des travailleurs migrants, regardera-t-il le Mondial-2022 ?

"C'est une question ambivalente", répond l'homme de 30 ans. "Dire que je ne regarderai pas serait un mensonge mais, en voyant les stades, je ne pourrai m'empêcher de me demander combien de personnes n'ont pas été payées, combien ont subi des conditions de travail déplorables, combien sont mortes."

"Garder la tête basse"

Retour en janvier 2016: Malcolm Bidali arrive au Qatar. Douze heures par jour, six jours par semaine, il observe des écrans de vidéosurveillance. Résidant dans une villa avec plusieurs autres travailleurs et touchant "1.500 riyals qataris (environ 420 euros) par mois", il ne se plaint pas. C'est, dit-il, "beaucoup mieux que les conditions au Kenya."

La situation se dégrade à partir de septembre 2018, quand il est recruté par une deuxième entreprise pour "1.250 riyals qataris par mois" (soit 350 euros). "Nous vivions dans une toute petite pièce de moins de 20 mètres carrés, à six, sur des lits superposés infestés de punaises, et sans aucun verrou à la porte, donc aucune vie privée", raconte-t-il.

"Au début, je ne disais rien car il fallait garder la tête basse", poursuit M. Bidali, qui s'est endetté à hauteur de 1.200 dollars auprès d'une agence de recrutement kényane pour émigrer. Il finit par envoyer des courriers électroniques aux autorités "mais rien ne s'est passé", affirme-il.

L'agent de sécurité est approché par Migrant-Rights.org, une ONG spécialisée. En 2020, il se met à dénoncer, sous le pseudonyme de "Noah", les violations du Code du travail et la xénophobie.

"Les conditions de travail au Qatar sont similaires à de l'esclavage dans le sens où quelqu'un te possède, te dit à quelle heure te lever, te coucher, quelle nourriture manger, où tu vis", relate "Noah".

"Désinformation"

Le 4 mai 2021, il est interpellé et conduit dans les locaux de l'agence chargée de la sécurité nationale, sans avocat, déclare-t-il. "Je ne savais même pas pourquoi j'avais été arrêté", soutient l'agent de sécurité, qui va rester en détention pendant 28 jours, soumis, selon lui, à des "pressions psychologiques".

Le Qatar lui reproche d'avoir reçu de l'argent de la part d'un "agent étranger" pour se livrer à de la "désinformation". Libéré après des protestations de la part d'ONG et du syndicat des footballeurs professionnels Fifpro, il a interdiction de quitter le territoire pendant deux mois.

Grâce à ses soutiens internationaux et diplomatiques, "Noah" est finalement expulsé mi-août après avoir écopé d'une amende d'un peu plus de 6.000 euros, selon ses dires.

Sollicitées par l'AFP, les autorités qataries n'ont pas souhaité revenir sur cet épisode. Fin mai 2021, elles avaient assuré que l'agent de sécurité bénéficiait "de conseils juridiques et d'une représentation".