Le Parlement tunisien révise la loi électorale juste avant la présidentielle

Le parlement tunisien siège à Tunis. Photo prise le 31 mars 2022.

Le Parlement tunisien a adopté vendredi un projet de révision de la loi électorale, contesté par la société civile comme un "changement des règles du jeu" à quelques jours de la présidentielle du 6 octobre où le président Kais Saied brigue un nouveau mandat.

Citant un "conflit" entre la justice administrative et l'autorité électorale Isie, plus d'un tiers des députés avaient présenté un texte à voter "en urgence" pour retirer au tribunal administratif la prérogative d'arbitrer les contentieux électoraux et la confier à la Cour d'appel. Le texte a été adopté par 116 voix pour, 12 voix contre et 8 abstentions. "116 députés élus avec 11% de participation (au printemps 2023, ndlr), un record mondial d'abstention ont transféré le contentieux électoral du tribunal administratif à une justice aux ordres à une semaine du vote. Jamais la Tunisie n'a connu une mascarade comme celle-ci même avant 2011", a réagi le commentateur politique Hatem Nafti sur X.

Fin août, le tribunal administratif réuni en appel avait réintégré dans la course présidentielle, à la surprise générale, trois candidats exclus d'une liste préliminaire par l'Isie le 10 août et considérés comme les rivaux les plus sérieux du président Saied. Il s'agissait de Mondher Zenaïdi, ex-ministre du régime Ben Ali, d'Abdellatif Mekki, un ancien dirigeant du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, et d'Imed Daïmi, un conseiller de l'ex-président Moncef Marzouki, proche d'Ennahdha. Le 2 septembre, l'Isie a publié une liste "définitive", qui exclut complètement ces candidats, mais plusieurs d'entre eux ont déposé de nouveaux recours administratifs qui aurait pu invalider la présidentielle.

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Pour le scrutin, l'Isie n'a accepté que trois candidatures : celles de M. Saied, 66 ans, de Zouhair Maghzaoui, 59 ans, un ancien député de la gauche panarabe, et d'Ayachi Zammel, 43 ans, un industriel peu connu à la tête d'un petit parti libéral. M. Zammel, en détention depuis début septembre, a écopé jeudi d'une peine de 6 mois de prison s'ajoutant à une précédente condamnation à 20 mois pour des accusations de falsification de parrainages.

Des ONG tunisiennes et internationales et la centrale syndicale UGTT ont critiqué une autorité électorale Isie "ayant perdu son indépendance", un processus "faussé en faveur de M. Saied" et "une absence des conditions indispensables pour des élections démocratiques, pluralistes, transparentes et intègres".

- "Tuant la démocratie" -

Le président sortant, élu démocratiquement en 2019, est accusé par ses détracteurs d'avoir fait régresser les droits et libertés en Tunisie depuis un coup de force à l'été 2021 par lequel il s'est emparé des pleins pouvoirs. Pendant la séance au Parlement, le député indépendant Bilel Mechri a diffusé des enregistrements de M. Saied qui en 2019 avait dénoncé tout amendement de la loi électorale avant un scrutin comme "tuant la démocratie". Un autre député indépendant, Hichem Hosni, a qualifié le projet de loi d'"inconstitutionnel", estimant qu'il ne ferait "que renforcer la crise".

Au début de la session parlementaire, plusieurs dizaines de manifestants ont protesté aux cris de "Liberté, liberté" ou "dégage, dégage" adressés à M. Saied. "Des lois révisées en pleine élection en faveur de Kais Saied = assassinat de la démocratie", clamait une pancarte. Un manifestant, Wissam Sghaier, porte-parole du parti Al Jomhouri (centriste) a dénoncé un changement "des règles du jeu dans les derniers mètres" avant le scrutin. "C'est un crime politique qui ne fait que confirmer l'abus et la répression" dans le pays, a-t-il estimé.