Un an après, le doute subsiste en Italie sur le "boss" des passeurs

Des migrants pendant une opération de sauvetage en Méditerranée, nord de Sabratha, Libye, le 29 août 2016.

Il y a un an, le Soudan arrêtait et extradait vers l'Italie un Erythréen soupçonné de diriger un vaste réseau de passeurs sans scrupules. Mais rapidement, le doute s'est insinué et cette prise historique pourrait n'être qu'une désolante erreur d'identité.

C'est "un tournant dans la lutte contre les trafiquants d'êtres humains", s'était félicité le procureur de Palerme (Sicile), Francesco Lo Voi, alors que la justice italienne n'arrivait pas à mettre la main sur ces boss régnant en toute impunité entre la Libye, l'Egypte et le Soudan.

Medhanie Yedhego Mered, 36 ans, est accusé d'avoir été "le général" de l'un des plus importants réseaux de trafic de migrants, avec des antennes en Libye, au Soudan, en Ethiopie, en Erythrée, aux Emirats arabes unis et dans plusieurs pays européens.

Les enquêteurs le soupçonnent d'avoir organisé à partir de 2013 le voyage souvent mortel de centaines de personnes par mois, surtout des jeunes de la Corne de l'Afrique, à travers le Sahara puis la Méditerranée.

Son réseau est en particulier accusé d'avoir affrété le bateau qui a pris feu et coulé en octobre 2013 au large de l'île italienne de Lampedusa, faisant plus de 360 morts.

"Une activité criminelle extrêmement rentable menée avec un mépris absolu de la vie humaine", selon le communiqué commun diffusé par le Soudan, l'Italie et le Royaume-Uni pour annoncer son arrestation le 24 mai 2016 à Khartoum et son extradition le 6 juin vers Palerme.

Mais devant les images diffusées par la police italienne d'un jeune homme frêle en chemise rouge, les cheveux crépus en bataille, descendant de l'avion menottes aux poignets et encadré par deux agents, le doute a commencé à s'installer.

Certains ayant eu affaire au "général" ne l'ont pas reconnu, tandis que des proches ont assuré que le jeune homme arrêté s'appelait Medhanie Tesfamariam Berhe, un réfugié installé à Khartoum depuis 2014.

"Ce n'est pas le +général+. Il ne parle même pas arabe", a déclaré à l'AFP Tasfie Haggose, un réfugié érythréen à Khartoum.

Un prénom commun

Et alors que les derniers témoins de l'accusation doivent déposer le 29 mai lors du procès à Palerme, l'avocat du suspect, Me Michele Calantropo, est formel: "Pour l'instant, il n'y a rien" qui prouve que son client est bien le trafiquant recherché.

Lui en revanche a déposé une liste de 42 témoins et experts qui viendront témoigner dans les mois à venir, à raison d'une audience en moyenne par semaine, que l'homme derrière les barreaux n'a qu'un prénom en commun avec le "général".

C'est ce prénom qui a alerté l'agence britannique de lutte contre la criminalité, la NCA, lorsqu'elle a entendu un homme se présentant comme "Medhanie" appeler le numéro placé sur écoute d'un passeur en Libye.

C'est bien l'auteur de ces trois appels qui a été localisé et arrêté à Khartoum. Mais alors que le procureur Calogero Ferrara assure que ces appels visaient à organiser des voyages de migrants, Me Calantropo affirme que son client cherchait juste à aider des proches alors en route pour l'Europe.

Le "général" faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international depuis 2015, mais les enquêteurs avaient très peu d'éléments sur son identité. "Nous n'avions pas pu établir son état-civil", explique le procureur Ferrara à l'AFP.

Dans ces conditions, le fait que l'homme arrêté ait six ans de moins que l'homme recherché et ne ressemble pas du tout à la photo diffusée n'est pas pertinent aux yeux du parquet.

En attendant que la justice tranche, le suspect reste très seul. Le barrage de la langue l'empêche de tisser des liens en prison, et vu que l'Italie le considère comme Medhanie Yedhego Mered, les frères et soeurs de Medhanie Tesfamariam Berhe ne peuvent ni lui rendre visite ni l'appeler au téléphone.

"J'ai été le seul à pouvoir lui souhaiter son anniversaire" quand il a eu 30 ans début mai, raconte Me Calantropo.

Avec AFP