Un bourbier en guise de route pour sortir de Libreville

La RN1 est en très mauvais état à 80 km au nord de Libreville au Gabon le 30 novembre 2018.

Couverts de boue, les véhicules zigzaguent pour éviter les nids-de-poule, mais ne peuvent contourner les énormes crevasses inondées: l'unique route qui permet de sortir de Libreville pour rallier l'intérieur du Gabon et les pays voisins, est un enfer pour les chauffeurs.

Des dizaines de camions se succèdent avec leur cargaison de bois, de produits agricoles et autres marchandises diverses, au milieu desquels les véhicules particuliers et les minibus de passagers tentent de se frayer un chemin.

Sur une centaine de kilomètres, la "Route Nationale 1" qui part vers l'est du Gabon et permet de rejoindre le Cameroun et la Guinée équatoriale au nord, n'est qu'une enfilade de trous, d'ornières et de crevasses. Avec, par endroits, quelques kilomètres goudronnés.

Avec la pluie qui tombe 8 mois sur 12 dans cette région, la RN1 est le plus souvent un véritable bourbier.

Or cette route est un axe vital pour l'économie gabonaise et l'approvisionnement de Libreville où vivent environ la moitié des quelque 1,8 millions d'habitants du Gabon.

Une grande majorité des produits agricoles et alimentaires consommés par les Librevillois viennent en effet du Cameroun et de la Guinée équatoriale.

"L'eau est une fois montée jusqu'à hauteur de la cabine" de son camion, raconte Abdoul Karim Bah, en exhibant une photo prise lors d'un de ses voyages où il s'est retrouvé bloqué par une portion de route totalement inondée.

Ce camionneur, originaire de Guinée, effectue le trajet entre Libreville et d'autres destinations depuis 7 ans.

Le voyage n'est pas sans risques: les énormes charges des camions qui zigzaguent tout au long du trajet, vacillent dangereusement juste à coté des voitures et des minibus de transport en commun. De nombreux accidents mortels ont régulièrement lieu sur cet axe.

"Il y a le facteur humain et mécanique, mais l'état du réseau est vraiment impliqué" dans les accidents, affirme Ghislain Malanda, président du Syndicat des agents du ministère du transport et de l’aviation civile (SAMTAC), également membre d'une ONG de lutte contre les accidents routiers.

Minibus et voitures sont en outre rudement mis à l'épreuve par les ornières laissées par les poids-lourds lors de leur passage incessant sur cette route détrempée presque à longueur d'année.

"Ça nous pénalise, nous les routiers", explique le transporteur Nzamba Boussaga, car les manœuvres pour éviter de se retrouver coincés dans les énormes crevasses entraînent souvent la chute de marchandises, au désespoir de leurs propriétaires.

Travaux jamais achevés

Dans les deux sens, les chauffeurs se cèdent le passage pour éviter une portion rendue impraticable par des tas de latérite déposés sur la route, en vue de travaux de réhabilitation tant espérés. Et il est risqué pour les voitures de tenter d'aller plus vite que les camions.

Les retards et les dégâts causés aux véhicules par l'état de la route font que certains "n'osent plus" investir dans le secteur du transport parce que "ça multiplie leurs pertes" selon M. Malanda.

Il ajoute que l'état "catastrophique" de la RN1 n'affecte pas que les marchandises, car les Gabonais de l'intérieur du pays "sont coupés du reste du monde", la plupart d'entre eux ne se déplaçant que par la route faute d'avoir les moyens de prendre l'avion.

L'état défectueux de la "nationale" date de plusieurs décennies, malgré d'importantes sommes investies par l'Etat. Ces dernières années, des projets de réfection ont régulièrement été entrepris, mais tardent à être réalisés.

En 2009, l'Etat avait lancé un projet de réhabilitation d'une partie de la route, réparti avec retard entre plusieurs entreprises dont une société chinoise, encore occupée à remblayer les trous plusieurs mois après l'attribution du marché.

L'argent des travaux est "détourné", affirme le syndicaliste Ghislain Malanda qui réclame "un audit des travaux publics".

Il y a un an, le porte-parole de la présidence gabonaise, Ike Ngouoni, avait affirmé que "cela fait un certain temps que nous souhaitons, dans l’intérêt des Gabonais, que cette route soit réhabilitée". "La mise en place d’infrastructures durables est une priorité des pouvoirs publics", avait-il ajouté.

Récemment, un tronçon goudronné de quatre voies long de 7 km qu'"il aura fallu presque 10 ans" à terminer a été inauguré, note Ghislain Malanda. Une manière implicite de se demander combien de temps encore faudra-t-il pour refaire les dizaines de kilomètres restants.