Une journaliste poursuivie en France pour avoir qualifié un ex-militaire rwandais de "nazi africain"

En France, une enquête préliminaire a été ouverte en août 2020 pour "crimes contre l'humanité" contre Aloys Ntiwiragabo.

Une journaliste française ayant couvert les massacres de 1994 s'est défendue jeudi devant la justice française face à un ex-chef des renseignements militaires du Rwanda pour l'avoir qualifié de "nazi africain". Elle est attaquée par ce dernier pour l'"injure publique".

Les faits remontent à juillet 2020, alors que le site Mediapart publie un article affirmant avoir retrouvé Aloys Ntiwiragabo, alors âgé de 72 ans, près d'Orléans, dans le centre de la France.

L'homme, ancien colonel de gendarmerie, avait été chef des renseignements militaires pendant le génocide au Rwanda en 1994, et avait fait l'objet de mandats d'arrêts de la part du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), levés depuis plusieurs années, le TPIR ayant été dissous en 2015.

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"Un nazi africain en France ? Quelqu'un va réagir ?", tweete alors Maria Malagardis, qui couvre de longue date l'actualité africaine, en réponse à un autre tweet d'Edwy Plenel, le président de Médiapart, annonçant l'article concerné.

"J'ai eu une réaction spontanée, qui m'a semblée être à la mesure de l'importance et de l'intérêt de cette découverte", a expliqué à la barre Mme Malagardis, journaliste depuis une quinzaine d'années pour le quotidien Libération, qui a écrit deux livres sur le génocide rwandais.

Aloys Ntiwiragabo, qui selon une ordonnance du TPIR d'août 1997 vue par l'AFP, aurait en avril 1994 "lui-même donné des ordres aux militaires des Forces de l'armée rwandaise d'exterminer tous les tutsis et les hutus complices", ne faisait toutefois l'objet d'aucune plainte en France et n'était recherché ni par Interpol, ni par la justice française ou rwandaise.

"L'acte d'accusation date de 1997, et depuis il ne se passe plus rien", a observé son avocat, Benjamin Chouai. Le Rwanda n'a lancé un mandat d'arrêt international à son encontre et Interpol n'a émis de "fiche rouge" le concernant qu'après l'article de Médiapart, a-t-il insisté.

En France, une enquête préliminaire a été ouverte en août 2020 pour "crimes contre l'humanité" contre Aloys Ntiwiragabo, qui a depuis lors été placé sous le statut de "témoin assisté", a encore souligné Me Chouai, ce qui selon lui augure de la faiblesse des charges contre son client.

"Intérêt général"

Le terme de nazi est en ce sens "outrageant, injurieux", et "Aloys Ntiwiragabo a des droits à faire valoir", a poursuivi l'avocat, qui a demandé 10.000 euros au titre des dommages et intérêt.

Attaquer en justice "une journaliste chevronnée pour un tweet est quelque chose d'un peu particulier, surtout si l'on prend en considération la personnalité de la partie civile", lui a rétorqué Emmanuel Soussen, l'avocat de Maria Malagardis. Et d'insister sur le parcours d'Aloys Ntiwiragabo, "un génocidaire, qu'on cherche depuis 30 ans", qui "finalement coule des jours heureux en France".

En 2015, la Cour administrative d'appel de Nantes lui avait refusé la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint de ressortissant français au motif que "s'il n'est pas établi qu'il (ait) participé personnellement (au génocide) ou l'(ait) planifié, (...) il n'a pris aucune mesure pour faire cesser les massacres ni n'a démissionné".

Dans un autre document du TPIR, Aloys Ntiwiragabo est évoqué comme faisant partie d'un groupe de onze responsables qui, "dès la fin de 1990 jusqu'à juillet 1994 (...) se sont entendus entre eux et avec d'autres pour élaborer un plan dans l'intention d'exterminer la population civile Tutsi et d'éliminer des membres de l'opposition et se maintenir ainsi au pouvoir".

Selon l'ONU, le génocide a fait au moins 800.000 morts en trois mois au Rwanda. D'après Me Soussen, citant plusieurs experts, les références aux politiques nazies étaient multiples côté rwandais lors de la préparation et de la commission du génocide des tutsis, le terme de "nazi africain" étant "une théorie extrêmement sérieuse" et "documentée".

"Nous étions bien en présence d'un débat d'intérêt général", à la fois "historique mais également juridique", a observé la vice-procureure Camille Viennot, sans toutefois requérir de relaxe ni de condamnation.

"Ca me fait quand même assez drôle de me retrouver en position d'accusée alors que j'ai essayé de faire œuvre utile pour l'histoire dans le cadre de cette tragédie", a conclu Maria Malagardis.