Interpellés début janvier à Abuja par les services de renseignements nigérians, Ayuk Tabe et ses lieutenants "répondront de leurs crimes" devant la justice camerounaise, a asséné Yaoundé, qui avait promis "la guerre" aux sécessionnistes.
Réfugié au Nigeria, le "président" auto-proclamé de l'Ambazonie (nom que les sécessionnistes donnent à leur projet de pays) et son entourage abreuvaient depuis des mois les réseaux sociaux en propagande "anti-colonialiste" contre Yaoundé, et, à mesure que la crise s'intensifiait, en appels au soulèvement.
Le Nigeria, qui avait assuré en décembre 2017 avoir une "convergence de vues" avec Yaoundé sur la crise anglophone mais avait démenti dans un premier temps détenir les séparatistes, a finalement accepté une extradition vers le Cameroun, au terme de négociations dont la teneur reste inconnue à ce jour.
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"C'est un coup important qui a été infligé par les autorités camerounaises, (elles ont) pu capturer une grande partie de l'état-major de ce mouvement" séparatiste, observe l'universitaire Mathias Eric Owona Nguini, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela, spécialisée dans les analyses géostratégiques en Afrique centrale.
"Ils risquent la torture et des procès partiaux devant des cours militaires camerounaises", craint de son côté Ilaria Allegrozzi, chercheuse à l'ONG Amnesty International.
Yaoundé considère aujourd'hui tous les séparatistes anglophones comme des "terroristes", tandis qu'une dissension entre la nébuleuse séparatiste politique et les partisans de la lutte armée s'est peu à peu dessinée ces derniers mois. Les premiers n'ont jamais reconnu les violences en régions anglophones comme étant de leur fait - tout en appelant à "lutter" contre Yaoundé et à "l'auto-défense" contre les forces de sécurité camerounaises.
L'extradition des 47 séparatistes "est indubitablement une victoire tactique, mais pour la transformer en victoire politique, le chef de l'Etat camerounais devrait initier rapidement un dialogue politique au plus haut niveau sur le fédéralisme ou la décentralisation avec toutes les composantes des régions anglophones: avec les fédéralistes, la diaspora anglophone et les sécessionnistes n'ayant pas opté pour la lutte armée", estime Hans De Marie Heungoup, chercheur au centre d'analyse International Crisis Group (ICG).
Aujourd'hui, le dialogue politique plusieurs fois mis en avant par Yaoundé reste quasi-inexistant.
Appels à la guerre ou au boycott
Débutée par un mouvement socio-économique de grève des enseignants et avocats fin 2016 contre leur marginalisation, la crise anglophone s'est lentement muée en conflit armé de basse intensité avec des attaques isolées récurrentes contre les symboles de l'Etat dans les deux régions anglophones.
Selon un décompte de l'AFP, établi sur la base des déclarations officielles, 19 militaires et policiers ont été tués depuis novembre. En parallèle, l'armée a déployé des forces pour contrecarrer des attaques de séparatistes présumés, tandis que les réseaux sociaux pro-anglophones diffusent des photos de civils tués et de villages mis à sac par l'armée - sans qu'il soit possible d'en vérifier l'authenticité.
"Nous sommes effondrés" par l'extradition d'Ayuk Tabe, a réagi via la messagerie Whatsapp à l'AFP un cadre de la nébuleuse séparatiste politique.
"Beaucoup de gens (en régions anglophones) veulent une réponse militaire (à l'extradition), certains appellent à la guerre, le risque que (la crise) escalade en une guerre civile est inquiétant", a mis en garde ce responsable.
"L'enlèvement (d'Ayuk Tabe) est de l'essence ajoutée sur le feu de la révolution", a de son côté mis en garde Chris Anu à l'AFP, un membre du "gouvernement" autoproclamé d'Ambazonie.
Ces derniers jours, les réseaux séparatistes ont multiplié les appels au boycott des entreprises françaises et menacé de s'en prendre aux entreprises françaises qui souhaiteraient investir au Cameroun. Par ailleurs, certaines sphères séparatistes vont jusqu'à déconseiller les mariages entre francophones et anglophones, ainsi que les demandes d'éviter les aéroports du Cameroun francophone.
Au sein de la minorité anglophone du pays - environ 20% des 23 millions d'habitants - les séparatistes réclamant une partition du Cameroun étaient à l'origine très minoritaires, la plupart des anglophones plaidant pour un retour au fédéralisme (abandonné en 1972).
Mais, selon les observateurs, la pression sécuritaire mise par le président Biya et les autorités camerounaises sur les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, accompagnée d'une coupure d'Internet pendant plus de trois mois, n'a cessé de rassembler les anglophones autour d'une logique "anti-Yaoundé".
"Si un dialogue véritablement inclusif n'est pas rapidement amorcé à la suite de cette extradition, il est possible que l'extradition radicalise davantage la partie anglophone et accentue le cycle de violences en cours", continue M. De Marie Heungoup, alors que le Cameroun se prépare à des élections - dont la présidentielle - fin 2018.
Avec AFP