Nouveau report de la Constituante avec l'ouverture d'une enquête au Venezuela

La procureure générale Luisa Ortega, Caracas, Venezuela, le 13 juin 2017.

Le président vénézuélien Nicolas Maduro a annoncé le report de 24 heures de la séance inaugurale de l'Assemblée constituante, rejetée par ses adversaires, qui se tiendra vendredi malgré les dénonciations de fraude.

La procureure générale du Venezuela Luisa Ortega a de son côté indiqué mercredi soir qu'elle avait ouvert une enquête sur les suspicions de fraude entourant l'élection de cette Assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution.

La séance inaugurale sera "organisée dans la paix, dans la tranquillité et avec tout le protocole nécessaire vendredi prochain à 11 heures du matin" (15h00 GMT), a déclaré M. Maduro lors d'une réunion avec des membres de cette assemblée de 545 membres élue dimanche.

L'opposition entend elle continuer à siéger au Parlement. Elle se préparait, par ailleurs, à manifester jeudi contre l'installation de ce "super pouvoir" qui pilotera le Venezuela pour une durée indéterminée.

Les leaders antichavistes (du nom de Hugo Chavez, président de 1999 à son décès en 2013) dénoncent le caractère "illégitime" à leurs yeux de cette Assemblée.

Sa légitimité a par ailleurs été mise en cause par l'entreprise chargée des opérations de vote qui dénonce une "manipulation".

Ce scrutin, qui s'est déroulé dimanche dans un contexte de grande violence, faisant dix morts, ne cesse de susciter un tollé au niveau international. Plus de 120 personnes au total ont été tuées en quatre mois de manifestations contre le président socialiste.

"Nous savons, sans le moindre doute, que (les chiffres de) la participation à l'élection d'une Assemblée constituante nationale ont été manipulés", a déclaré Antonio Mugicala, le PDG de l'entreprise britannique SmartMatic, en charge des opérations de vote au Venezuela "depuis 2004".

"La différence entre la participation réelle et celle annoncée par les autorités est d'au moins un million de votes", a-t-il estimé.

'Affirmation irresponsable'

"C'est un séisme", a réagi Julio Borges, le président du Parlement élu fin 2015, où l'opposition est majoritaire.

"C'est une affirmation irresponsable basée sur des estimations sans fondement concernant la data (données) dont dispose exclusivement" le Conseil national électoral (CNE), s'est défendue sa présidente Tibisay Lucena.

M. Maduro a pour sa part affirmé qu'il s'agissait d'une "réaction de l'ennemi international" et que le scrutin avait été "transparent".

"Je vous informe que j'ai désigné deux magistrats pour enquêter sur les quatre directeurs du CNE pour cet acte très scandaleux", a déclaré Mme Ortega à la chaîne d'information américaine CNN, faisant référence à ces accusations de "manipulation".

"Nous sommes face à un fait inédit, grave et qui constitue un délit", a affirmé Mme Ortega, qui avait dénoncé lundi la Constituante et "une ambition dictatoriale" du président Maduro qui a succédé à Hugo Chavez.

L'opposition a boycotté ce scrutin en dénonçant une "fraude" visant à prolonger le pouvoir de M. Maduro, dont le mandat s'achève en 2019.

Selon les autorités, plus de huit millions d'électeurs, soit 41,5% du corps électoral, ont participé à l'élection des membres de la Constituante. Soit un chiffre supérieur aux 7,6 millions de voix réunies par l'opposition le 16 juillet, lors d'un référendum contre le projet de Constituante. Chaque camp conteste les chiffres de l'autre.

Le Venezuela est au bord de l'effondrement économique et 80% des Vénézuéliens désapprouvent la gestion du président, selon l'institut de sondages Datanalisis.

L'UE a annoncé mercredi qu'elle refusait de reconnaître l'Assemblée constituante. "L'élection de l'Assemblée constituante a durablement aggravé la crise au Venezuela", a déclaré Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie européenne.

'Réduire les tensions'

La Constituante doit lancer ses travaux dans un contexte de tensions avec les Etats-Unis, renforcé par les nombreuses condamnations internationales après l'arrestation dans la nuit de lundi à mardi de deux des figures de l'opposition, Leopoldo Lopez, 46 ans, et le maire de Caracas Antonio Ledezma, 62 ans.

Le président américain Donald Trump a tenu "personnellement responsable" son homologue vénézuélien du traitement des deux opposants, condamnant "les actions de la dictature Maduro".

La Constituante se situe au-dessus de tous les pouvoirs, y compris du chef de l'Etat, et doit rédiger une nouvelle Constitution. Elle doit apporter la "paix" et permettre au pays de se redresser économiquement, selon le chef de l'Etat.

De son côté, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé les autorités "à faire tous les efforts possibles pour réduire les tensions" dans ce pays pétrolier au bord de l'abîme.

Dans ce climat de crise, M. Maduro a annoncé mercredi la nomination d'un nouveau ministre des Affaires étrangères, Jorge Arreaza. Ministre des mines jusqu'alors, M. Arreaza succède à Delcy Rodriguez, élu à l'Assemblée constituante.

Par ailleurs, la compagnie aérienne argentine Aerolineas Argentinas a annoncé l'annulation de son vol hebdomadaire vers et depuis Caracas du 5 août pour des raisons "opérationnelles et de sécurité".

Air Canada et Aéromexico dès 2014, Alitalia en 2015, GOL, Latam et Lufthansa en 2016, suivies de United Airlines, Avianca et Air France en 2017: plusieurs compagnies ont mis fin ou réduit leurs opérations dans ce pays sud-américain secoué par une profonde crise politico-économique, toujours plus isolé.

Dimanche, opposants et forces de l'ordre s'étaient affrontés à Caracas et dans d'autres villes lors de batailles rangées. Selon l'ONG Foro Penal, le Venezuela compte quelque 490 "prisonniers politiques".

Avec AFP