Les médias rappelés à l'ordre après les violences pastorales au Nigeria

Un éleveur peul et son bétail pres de Kaduna, Nigeria, le 22 fevrier 2017

La multiplication au Nigeria des affrontements entre éleveurs et agriculteurs suscite, à moins d'un an de la présidentielle, des débats virulents dans les médias, accusés de donner une dimension ethnique et religieuse à un conflit séculaire.

La photo d'un homme armé d'un fusil d'assaut debout devant un troupeau et celle d'une foule brandissant des machettes sont régulièrement utilisées par les journaux locaux pour illustrer le conflit foncier au Nigeria.

Le problème est qu'aucune de ces deux images ne vient du géant anglophone d'Afrique de l'Ouest: l'une a été prise au Soudan du sud, l'autre en Centrafrique.

La violence est bien réelle: le conflit entre agriculteurs et éleveurs a fait des centaines de morts, des dizaines de milliers de déplacés et contraint le gouvernement à déployer l'armée dans plusieurs Etats du pays.

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L'insécurité dans les Etats ruraux du centre du pays, où les violences liées à l'accès à la terre et à l'eau sont quasi-quotidiennes, sera un des grands enjeux de l'élection prévue en 2019.

Mais l'instrumentalisation du conflit à des fins électorales fait peser des craintes réelles dans le pays, où la plupart des médias nigérians appartiennent à des pontes de la politique locale ou à des membres de leur entourage.

Depuis plusieurs mois déjà, les éleveurs - composés en majorité de Peuls musulmans - sont accusés par des responsables politiques ou des éditorialistes de vouloir "massacrer les chrétiens" ou "islamiser de force" le pays, accentuant la fracture entre un nord principalement musulman et un sud à majorité chrétienne.

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Le porte-parole de la présidence, Garba Shehu, a sonné l'alarme récemment, comparant la manière dont la presse nigériane couvre les troubles pastoraux avec l'incitation à la violence qui se répandait au Rwanda avant le génocide de 1994.

Il a dénoncé l'attitude de certains médias qui "appellent à la guerre et attisent les braises de la discorde" en accusant le chef de l'Etat Muhammadu Buhari, lui-même peul musulman, d'être directement responsable des tueries, après avoir mis des mois à condamner les violences.

"Guerre à la Nation"

Le Parlement examine par ailleurs la possibilité de criminaliser les "discours de haine".

Dans l'Etat de Benue par exemple, où les affrontements entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires ont fait des centaines de morts depuis janvier, le gouverneur Samuel Ortom a interdit le pâturage libre et ne cesse de vilipender les "peuls", devenus l'ennemi numéro pour son "peuple", l'ethnie chrétienne Tiv.

L'Association nigériane des éleveurs de bétail, Miyetti Allah, dénonce de son côté la stigmatisation des éleveurs, qui a poussé des milliers d'entre eux à quitter Benue pour se réfugier dans l'Etat voisin de Nasarawa.

Même le prix Nobel de littérature Wole Soyinka, dont la propriété dans le sud-ouest du Nigeria a été saccagée par des troupeaux de bétail, s'est mêlé au débat, affirmant que les éleveurs avaient "déclaré la guerre à la nation".

"Pourquoi leur a-t-on permis de devenir une menace pour nous autres?", avait-t-il demandé en janvier, dans une critique voilée du gouvernement Buhari.

Les propos des uns et des autres sont abondamment relayés dans la presse, quitte parfois à omettre qu'il s'agit d'un conflit séculaire pour l'appropriation des terres, dans un contexte de sécheresse et de désertification au Sahel, qui voit les éleveurs migrer vers le Sud.

Une situation aggravée par la rapide croissance démographique du pays, qui compte déjà 180 millions d'habitants et devrait devenir le troisième pays le plus peuplé au monde d'ici à 2050.

Et dont le nord-est est en proie à l'insurrection sanglante du groupe jihadiste Boko Haram, qui a fait plus de 20.000 morts depuis 2009.

Pour le président du Syndicat nigérian des journalistes (NUJ), Waheed Odusile, qui reconnait certaines dérives, la couverture du conflit est globalement "équilibrée".

"Ce qui est troublant est la caractérisation ethnique du conflit. Cela donne l'impression que les violences sont un problème nord-sud, entre chrétiens et musulmans", ajoute M. Odusile, mettant en garde ceux qui "jouent le jeu des politiciens sur les failles de la nation".

Selon le journaliste, le fait de décrire tous les éleveurs "comme des peuls musulmans est dangereux et peut mettre en péril la paix et l'unité du Nigeria".

Avec AFP