Selma déambule nonchalamment sur ses pattes graciles, fait cligner ses longs cils, puis allonge une langue brunâtre pour gober une boulette tendue par un touriste énamouré: dans son refuge kényan, cette girafe est à l'abri des dangers auxquels est confrontée son espèce, désormais menacée.
Selma s'exhibe de la sorte au Giraffe Center de Nairobi, un sanctuaire créé au début des années 1980 pour protéger et assurer la reproduction des girafes de Rothschild, et devenu l'une des principales attractions touristiques de la capitale kényane.
Mais si Selma est sauve, ce n'est pas le cas de toutes ses congénères. La girafe, icône de l'Afrique et animal terrestre le plus grand, est depuis quelques jours considérée comme "vulnérable" par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
L'Afrique de l'Est est le territoire de trois des quatre espèces de girafes. Une d'entre elles est la girafe du Nord, qui comprend trois sous-espèces, dont la girafe de Nubie, à laquelle la girafe de Rothschild est depuis cette année assimilée.
La girafe de Nubie, qui vit en Ethiopie et au Soudan du Sud, a vu sa population baisser de 20.500 en 1981 à 650 en 2016. La région a aussi perdu 80% de ses girafes réticulées, qui vivent au Kenya, en Ethiopie et en Somalie.
"La Somalie est un habitat important pour la girafe réticulée. Il y a des informations selon lesquelles elles seraient encore là-bas, mais on ne peut pas en être sûr et ça augure mal de l'avenir", explique Arthur Muneza, coordinateur pour l'Afrique de l'Est à la Fondation pour la préservation de la girafe.
"Nous allons perdre ces animaux si ces pays ne connaissent pas la paix et s'ils ne deviennent pas suffisamment stables pour favoriser les efforts de sauvegarde", ajoute-t-il.
La Somalie, la République démocratique du Congo, le Soudan du Sud et le nord-est du Kenya abritent tous des girafes, mais sont aussi des zones déstabilisées par les conflits.
Les violences favorisent non seulement les desseins des braconniers, mais rendent aussi quasi-impossible toute tentative d'étudier les girafes et d'agir pour leur protection.
Fragmentation de l'habitat
"Quand des hommes armés voient une girafe marcher autour d'eux, ils la considèrent comme une source de nourriture. Avec une balle, vous pouvez abattre un animal de cette taille et il peut vous nourrir pendant des semaines", note M. Muneza.
"Cela limite aussi les recherches que nous pouvons faire. Si les chercheurs ne se sentent pas assez à l'aise pour aller dans ces endroits, ils ne vont pas documenter ce qui leur arrive (aux girafes) et ça accroît encore notre déficit de connaissance", ajoute-t-il.
Historiquement et malgré la place qu'elle tient dans l'imaginaire des gens, la girafe n'a jamais suscité beaucoup d'intérêt pour les chercheurs.
"Les recherches de longue durée sur les girafes n'ont commencé qu'en 2003 en Namibie. Pour les éléphants, vous avez des études qui remontent à 30 ou 40 ans", constate M. Muneza.
Les conflits ne sont pas les seuls problèmes des girafes. La fragmentation de leur habitat est un autre facteur majeur de leur déclin, en réduisant leur accès à la nourriture et leur capacité à s'accoupler.
En certains endroits du Kenya, les girafes sont aussi tuées pour leurs os, leur moelle épinière et leur cervelle, considérés par certains comme un remède contre le sida.
"Il y a aussi des gens qui tuent des girafes uniquement pour leur queue", pour le prestige, déplore M. Muneza.
D'après lui, le premier pays africain à avoir développé une stratégie de protection des girafes est le Niger au début des années 90, après avoir constaté qu'il abritait les 50 dernières girafes d'Afrique de l'Ouest.
La population de girafes au Niger a depuis remonté à 450 individus. Mais l'espèce est éteinte au Sénégal, au Nigeria, au Burkina Faso, en Guinée, au Mali et en Mauritanie.
Le succès du Niger a attiré l'attention du Kenya, qui travaille à la mise en place d'une stratégie similaire, et de l'Ouganda, qui s'est montré intéressé.
"Nous sommes sur la bonne voie, mais il y a encore beaucoup à faire. Si nous ne le faisons pas, ce sera trop tard, nous avons déjà perdu la girafe dans sept pays africains", avec en plus l'Erythrée, prévient M. Muneza.
Avec AFP