Drapé dans un boubou de riche tissu blanc veiné de gris, entouré de ses conseillers, sa majesté Amon Tanoé, roi des N'Zima, recevait mercredi un témoignage de "soutien et de solidarité" des autres chefs traditionnels de la ville, cité balnéaire réputée de Côte d'Ivoire, à 30 km d'Abidjan.
Le roi est contesté par son peuple pour avoir pris position en faveur du candidat du pouvoir à l'élection municipale il y a trois semaines, sortant de son rôle traditionnellement apolitique.
Cité historique de Côte d'Ivoire, dont elle fut la première capitale pendant la période coloniale, Grand Bassam, 100.000 habitants, est le théâtre d'une bataille politique entre les deux principaux partis politiques du pays, qui revendiquent chacun la victoire.
Dans la grande salle du palais royal et sur les terrasses qui la bordent, des centaines de personnes habillées de blanc, couleur de paix, assistent à la cérémonie.
Dimanche, des manifestants habillés de rouge, couleur de colère, avaient hué le roi.
Par crainte de nouveaux troubles, plusieurs centaines d'hommes des forces de l'ordre quadrillaient la vieille ville classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Un dispositif impressionnant, donnant à la cité bâtie sur une langue de sable entre lagune et océan des airs d'état de siège, contrastant avec l'atmosphère alanguie qui y règne d'ordinaire.
Discours, danses, remise de présents se succèdent pendant deux heures. Visage grave, regard perçant, Amon Tanoé reste silencieux, car la tradition veut que le roi ne s'exprime pas en public. Son porte-parole remercie en son nom.
Ancien diplomate, Amon Tanoé est aussi le président de la Chambre des rois et chefs traditionnels de Côte d'Ivoire, un poste officiel où il a été nommé par le président Alassane Ouattara. Ce qui renforce l'enjeu politique de sa contestation.
Devant le roi, un homme de haute stature, le "porte-canne", tient un sceptre, symbole de pouvoir : un grand bâton sculpté orné d'une tête de lion, surmonté d'un canari (récipient en terre cuite) rempli des symboles des sept familles de l'ethnie N'Zima de Grand-Bassam.
'Y avait quoi là-bas ?'
A trois cents mètres du palais, sur la place de l'Abissa, un groupe d'hommes N'Zima qui jouent au dames considèrent avec ironie la cérémonie.
"Y avait quoi là-bas (au palais) ? On n'est pas au courant, on n'était pas convoqué", dit l'un.
"C'est avec son peuple qu'il doit régler le conflit, pas avec des soutiens venus de l'extérieur", juge un autre.
Tous estiment qu'il n'y avait pas de N'Zima dans la salle, mais seulement des Dioulas du nord de la ville. Les Dioulas sont originaires du nord de la Côte d'Ivoire, la région du président Ouattara.
"Au lieu d'appeler son peuple pour parler avec lui, le Roi vient avec des policiers et des militaires qui nous envoient du piment dans les yeux (gaz lacrymogène)", s'indigne une vieille dame.
Un autre homme note l'absence, au côté du roi, de la reine mère, détentrice de l'essence du pouvoir chez ce peuple à la culture matrilinéaire.
En raison du conflit, la grande fête annuelle de l'Abissa, une des principales attractions touristiques de Côte d'Ivoire, qui devait se dérouler début novembre, n'aura pas lieu, chacun en est convaincu. Et tant pis pour les pertes économiques.
"On n'est pas content de l'annulation de l'Abissa, mais on mène une lutte", explique le tenancier d'un bar de la place.
Les N'Zima sont majoritairement favorables au maire sortant Georges Ezaley, du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, opposition), qui ne reconnaît pas sa défaite annoncée par la commission électorale face à Jean-Louis Moulot, candidat du parti au pouvoir, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Les deux camps s'accusent mutuellement de fraude, dans cette ville qui fut longtemps un fief du PDCI, et d'où est originaire le vice-président de la République Daniel Kablan Duncan, officiellement membre du PDCI mais en pratique très proche du président Alassane Ouattara.
Des violences avaient eu lieu au moment de la proclamation des résultats et depuis, des escarmouches quasi-quotidiennes opposent des jeunes N'Zima à la police.
Avec AFP