"J'ai peur", souffle cette Congolaise de 50 ans, qui traverse plusieurs fois par semaine la boueuse rivière Lhubiriha pour acheter à Mpondwe, en Ouganda, du sel qu'elle revendra ensuite dans son magasin.
"Ebola n'a pas encore atteint notre village, mais il paraît qu'il arrive", souffle-t-elle, en soulignant qu'un cas a été confirmé à moins de 70 kilomètres de Lhubiriha, nommé d'après la rivière qui le borde.
A la frontière, des volontaires de la Croix-Rouge organisent les arrivants, leur intimant de désinfecter mains et chaussures dans de l'eau chlorée, et vérifiant soigneusement leur température. Des mesures prises afin de prévenir une propagation d'Ebola côté ougandais.
Plus de 300 personnes sont décédées de fièvre hémorragique - transmise par contact physique avec des fluides corporels infectés - depuis le début de l'épidémie, déclarée le 1er août par les autorités congolaises. En cas d'infection, le taux de mortalité est de 60%.
Malgré les précautions, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) évoque un "haut risque" de propagation vers l'Ouganda en raison des nombreux contacts entre communautés frontalières.
"Il y a des gens qui ont de la famille au Congo, des petits fermiers qui ont un jardin ici et un autre au Congo, il y a des enfants qui vivent d'un côté et vont à l'école de l'autre", décrit Samuel Kasimba, qui coordonne dans le district de Kasese les efforts visant à empêcher une propagation vers l'Ouganda.
Lors des jours de marché à Mpondwe, deux fois par semaine, plus de 20.000 personnes traversent la frontière.
Un Noël redouté
A l'approche de Noël, le risque va augmenter, explique Andrew Bakainaga, un haut responsable de l'OMS en Ouganda. "La période de Noël est une préoccupation parce que nous savons qu'il y a beaucoup de mouvement car les gens achètent de la nourriture ou viennent rendre visite à des proches".
"Nous nous attendons à ce que le nombre de personnes traversant la frontière passe d'environ 300.000 à 500.000 par mois", explique-t-il à l'AFP.
La RDC organise par ailleurs des élections, dont la présidentielle, le 23 décembre. Dans ce pays accoutumé aux violences, notamment politiques, beaucoup craignent que les populations fuient en masse vers l'Ouganda.
L'année écoulée, plus de 123.000 Congolais ont cherché refuge chez leur voisin, fuyant les violences dont l'Est de la RDC est le théâtre.
"Notre but est de détecter tôt tout cas suspect, avant que cette personne n'ait de nombreux contacts. Nous utilisons des programmes radio et des équipes de santé dans les villages qui éduquent les gens au sujet d'Ebola", souligne M. Kasimba.
"L'épidémie se rapproche de l'Ouganda. Dieu nous en garde, mais nous sommes prêts si elle arrive", assure-t-il.
Vaccin expérimental
Les cas suspects sont emmenés d'urgence dans la ville voisine de Bwera, à six kilomètres de là, dans un hôpital qui dispose désormais d'une salle de confinement.
Esther Businge et Joseph Kamabu n'ont pas de patients aujourd'hui, et décident dès lors de s'exercer encore une fois aux gestes qui doivent les protéger du virus.
Ils enfilent leurs imposantes tenues de protection, masque compris, et s'examinent mutuellement pour s'assurer qu'aucun carré de peau n'est exposé. Impossibles à distinguer sous toutes ces épaisseurs, ils écrivent leur nom au feutre au dos de leurs tenues à usage unique.
"Ma mère était un peu effrayée quand j'ai commencé à travailler, parce que j'ai pris l'échantillon de sang du premier cas suspect toute seule", raconte Mme Businge, une technicienne de laboratoire de 55 ans.
"Je lui dit que je suis entraînée et que tout ira bien, mais bon, j'ai entendu dire que 24 infirmières sont décédées au Congo", ajoute-t-elle.
Quand Ebola a frappé l'Afrique de l'Ouest en 2014, principalement en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia, de nombreux personnels de santé figuraient parmi les 11.000 victimes de l'épidémie.
En collaboration avec l'OMS, les autorités ougandaises ont inoculé un vaccin expérimental à 3.000 personnels de santé, mais M. Kamabu demeure inquiet.
"Après avoir passé deux heures dans ces tenues, nous sommes couverts de transpiration, et quand les tenues sont mouillées, elles se déchirent facilement et absorbent l'humidité. Que se passera-t-il si un patient vomit dessus ?", redoute-t-il.
A Mpondwe, Mme Muhindo s'apprête à rentrer en RDC. "J'aimerais être vaccinée, mais on nous dit qu'il n'y a pas assez de vaccins pour tout le monde", déplore-t-elle. Et de conclure, dépitée: "Je vais rentrer au Congo, je n'ai nulle part d'autre où aller".