"D'autres vont tomber, d'autres vont tomber", scande la foule, des hommes et des femmes vêtus de tenues traditionnelles blanches déterminés à mener leur septième nuit consécutive de protestation.
Depuis quatre mois, ils ont manifesté dans plusieurs villes. Puis, il y a une semaine, ils ont intensifié leur mouvement et campé devant le QG de l'armée, l'appelant à rejoindre leur camp contre Omar el-Béchir, réclamé par la justice pour les pires crimes du droit international.
Jeudi, c'est dans la liesse qu'ils ont écouté à la télévision et à la radio l'armée mettre un point final à trois décennies de règne du président de 75 ans, arrivé au pouvoir grâce à un coup d'Etat.
- "On ne veut pas des militaires" -
Mais ils ont aussi entendu juste après les généraux annoncer qu'ils se chargeraient eux-même de la transition, pendant deux ans, en créant leur "Conseil militaire" dirigé par le ministre de la Défense Awad Ibn Ouf.
Pour de nombreux manifestants, les têtes et les noms ont changé, mais le régime, lui, est toujours en place.
"On ne veut pas d'Ibn Ouf, on ne veut pas d'un gouvernement militaire", martèle ainsi l'un d'eux. Tous ceux qui ont pris les commandes de la transition "viennent du régime de Béchir", poursuit-il. Ce que la foule veut aujourd'hui, dit-il encore, c'est "un dirigeant civil".
Et pour l'obtenir, les protestataires ont visiblement décidé de maintenir leur mouvement. Les barricades des sit-in ont été remontées, le lieu de rassemblement n'a pas changé, seuls les slogans ont été modifiés: fini les invectives contre Béchir, maintenant c'est le Conseil militaire et le général Ibn Ouf qui sont pointés du doigt. Ce dernier doit adresser vendredi soir un nouveau message à la nation, selon la télévision d'Etat.
A l'approche de la tombée de la nuit, alors que les généraux ont décrété un couvre-feu quotidien de 22H00 à 04H00, des bus de manifestants convergeaient vers le QG de l'armée, selon des témoins. Quelques soldats semblaient même deviser avec ces protestataires.
Quant aux deux ponts qui relient les banlieues de la capitale à Khartoum, ils étaient engorgés par les voitures qui tentaient de rejoindre l'imposant complexe militaire pour y déposer les irréductibles des sit-in nocturnes.
"Beaucoup de jeunes filles, drapeau soudanais en main se rendaient vers le point de convergence des manifestations en lançant des youyous", indique un témoin.
- "Impressionné par les jeunes" -
Plus tôt dans la journée déjà, des milliers de fidèles avaient rejoint les abords du QG de l'armée pour effectuer ensemble la grande prière hebdomadaire musulmane, alignés en rangs derrière un imam drapé dans le drapeau noir, rouge, vert et blanc du Soudan.
"C'est la première fois que je viens ici, mais j'ai répondu à l'appel pour prier ici", explique Hussein Mohamed, Soudanais d'un certain âge venu d'Omdurman, la ville jumelle de Khartoum, de l'autre côté du Nil.
Autour des fidèles musulmans, des coptes, les chrétiens du Soudan, étaient postés et offraient de la nourriture et des boissons pour affronter le soleil de plomb qui chaque jour s'abat sur les manifestants.
D'autres volontaires offraient nattes et fins matelas aux protestatairs qui dorment chaque nuit sur place.
"Les manifestants refusent la déclaration", scandaient des femmes, en référence à la "déclaration importante de l'armée" qui a défilé en bandeau sur toutes les télévisions du monde, pendant les longues heures d'attente avant le putsch.
Un peu plus loin, entre les petits cercles de manifestants qui reprenaient en choeur des slogans, résonnaient des airs traditionnels soudanais brodés sur des gammes pentatoniques.
"Je suis très impressionné par ce que nos jeunes sont en train de faire", lâche Hussein Mohamed. "Il fait tellement chaud, trop chaud", soupire-t-il encore, avant de reprendre le chemin du retour vers Omdourman.
"Mais je reviendrai, c'est sûr", glisse-t-il.