Dans Yaoundé, la campagne électorale pour ces scrutins reportés à deux reprises depuis 2017 est très discrète: quelques banderoles incitent les passants à aller voter, à peine plus nombreuses que celles exhortant les habitants à ramasser leurs déchets.
Dans ce pays d'Afrique centrale où 75% de la population a moins de 35 ans et n'a connu qu'un seul président, Paul Biya, 86 ans dont 37 au pouvoir, le double scrutin ne déchaine pas les foules.
Aussi à Yaoundé, les militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti du président Biya, exultent d'avance.
Le parti d'opposition, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto, adversaire malheureux de M. Biya à la présidentielle de 2018, n'ayant présenté aucun candidat, le RDPC est quasiment garanti de rafler la mise une nouvelle fois - il possède déjà une majorité parlementaire écrasante (148 sièges sur 180).
En marge d'une petite manifestation électorale de la majorité à Yaoundé, Augustin Tsafack, un responsable local du RDPC, jubile tout en faisant mine de regretter de ne pas avoir d'adversaire digne de ce nom.
"Elle est où, l'opposition?", interroge-t-il, sourire aux lèvres sous sa casquette à l'effigie de Paul Biya.
L'opposant numéro un, Maurice Kamto, est à l'étranger. Après avoir passé près de neuf mois en prison pour avoir participé à des marches contestant sa défaite à la présidentielle de 2018, il a appelé les Camerounais à boycotter le vote de dimanche.
"J'aurais voté MRC, mais dimanche, je reste chez moi", tranche Xavier, un jeune Yaoundéen.
Rebelles indépendantistes
"Nous pouvions avoir quelque sièges de députés et quelques conseillers municipaux mais en quoi est-ce qu'on influencerait le cours des événements au Cameroun?", a affirmé M. Kamto à l'AFP au cours d'un passage à Paris.
Selon lui, la tenue de ces élections est une erreur, compte tenu que, dans l'Ouest anglophone, les affrontements entre indépendantistes et armée ont fait plus de 3.000 morts en deux ans, et déplacé plus de 700.000 personnes, selon plusieurs ONG.
Dans ces régions vivent la plupart des anglophones du Cameroun, qui s'estiment lésés par rapport à la majorité francophone du pays.
Aujourd'hui, faire campagne dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n'est d'ailleurs pas sans risque: des candidats de l'opposition et de la majorité présidentielle affirment avoir été attaqués par des rebelles indépendantistes depuis qu'ils ont annoncé prendre part au vote.
"Comment l'Etat peut-il garantir que les élections seront sécurisées dans les régions anglophones, alors que certaines villes ne sont même plus accessibles par la route ?", s'est inquiété mercredi un observateur indépendant venu d'une de ces régions, lors d'une réunion avec la commission électorale à Yaoundé mercredi.
Des inquiétudes planaient également sur la sécurité des bureaux dans la région de l'Extrême-Nord, où les attaques du groupe jihadiste Boko Haram se sont intensifiées ces trois derniers mois.
"Des mesures ont été prises", s'est contenté de répondre Erik Dessousse, directeur général d'Elecam, la commission électorale.
La participation des déplacés à ce scrutin interroge également, car près d'un million de personnes, victimes de ces deux conflits, ont fui leur domicile, selon des estimations de l'ONU.
Plusieurs déplacés anglophones à Yaoundé, qui ont souhaité garder l'anonymat, ont affirmé à l'AFP avoir voulu s'inscrire sur les listes électorales sans succès.
Autre enjeu, celui du visage de l'opposition: "Etant donné que le MRC n'est pas là, qui sera le premier parti d'opposition?", se demande Stéphane Akoa, chercheur à la fondation Paul Ango Ela.
Les candidats d'une myriade de partis d'opposition, 49 en comptant les deux scrutins, enchaînent les débats et les grands oraux sur les chaînes d'information.
Enjeux locaux
Les regards se tournent vers le premier parti d'opposition camerounais à l'Assemblée, le Social democratic front (SDF), qui compte actuellement 18 députés. Après avoir hésité, il a finalement décidé de participer au scrutin.
Mais le SDF, habituellement implanté dans les communautés anglophones, est sous la pression de mouvements indépendantistes plus extrêmes.
Il doit également faire face à la concurrence du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) du jeune opposant Cabral Libii, arrivé troisième à la présidentielle et candidat aux législatives dans l'Ouest, région dont il est originaire et où il part favori.
En l'absence de risque pour la majorité au parlement, la presse se focalise sur les mairies. Certaines grandes villes, dont Douala, la capitale économique, pourraient ainsi passer à l'opposition.
"Les enjeux sont locaux", souligne M. Akoa. Les mairies vont gagner en indépendance avec le projet de loi sur la décentralisation adopté fin décembre.
Cette disposition avait aussi abouti à la création d'un statut spécial pour les deux régions anglophones, qui pourront désormais élaborer leurs politiques publiques dans les domaines de l'éducation et de la justice. Ces mesures n'ont cependant pas ramené la paix dans le pays, où les combats et les violences commises contre les civils se sont intensifiés en décembre.