Des "tirs à l'arme lourde" ont touché samedi Mekele, la capitale de la région dissidente du Tigré (nord) où l'armée éthiopienne mène une opération militaire, ont affirmé les autorités locales, qui y sont retranchées.
L'information a été confirmée à l'AFP par deux responsables humanitaires ayant des équipes dans cette ville qui comptait 500.000 habitants avant le début du conflit.
Trois semaines après le début des combats, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a ordonné jeudi à l'armée d'enclencher la "dernière phase" de l'opération militaire démarrée le 4 novembre, en lançant une offensive sur Mekele, le fief des dirigeants du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).
Si selon le gouvernement fédéral éthiopien il s'agit d'une action militaire limitée contre certains membres du TPLF, le TPLF affirme pour sa part que c'est une guerre contre le Tigré dans son ensemble.
L'armée fédérale "a commencé à toucher avec des armes lourdes et de l'artillerie le centre de Mekele, qui abrite une importante population et des organisations de développement", ont déclaré les autorités tigréennes dans un communiqué diffusé samedi à la télévision locale, Tigray TV.
"Hier, de la même manière, de nombreux secteurs de Mekele ont été bombardés par des avions militaires", affirment-elles également.
Le gouvernement tigréen appelle la communauté internationale "à condamner les attaques d'artillerie et d'avions militaires et les massacres" commis sur "les civils et les infrastructures" par M. Abiy et par Issaias Afeworki, le président érythréen, qu'il accuse d'aider Addis Abeba. Il promet "une réponse proportionnée".
Contacté, le porte-parole de la cellule gouvernementale de crise dédiée à l'opération au Tigré n'a pas répondu aux demandes de précisions concernant l'offensive sur Mekele.
Mais, dans un communiqué qui ne semble pas concerner précisément la journée de samedi, Addis Abeba affirme à propos de la capitale régionale que son action aérienne "a été précise et a visé uniquement les dépôts, armes et arsenaux militaires du TPLF", évitant "les hôpitaux, écoles et quartiers résidentiels".
Le gouvernement évoque toujours "une opération de maintien de l'ordre à Mekele".
Asmara à nouveau touchée
Vendredi soir, au moins une roquette tirée depuis le Tigré a ciblé la capitale de l'Erythrée, Asmara, ont indiqué à l'AFP quatre diplomates basés dans la Corne de l'Afrique. D'éventuels victimes ou dégâts ne sont toujours pas connus.
Le TPLF, qui avait visé Asmara il y a dix jours avec des armes similaires, n'a pas revendiqué ce tir.
Ni l'Ethiopie, ni l'Erythrée n'ont réagi pour le moment.
Samedi matin, l'armée éthiopienne a affirmé sur la radio-télévision Fana BC, affiliée au pouvoir, qu'elle contrôlait notamment la localité d'Agula, à moins de 40 km au nord de la capitale régionale, et contrôlerait dans "quelques jours" Mekele.
La vérification sur le terrain et de source indépendante des affirmations de l'un et l'autre camp est difficile, le Tigré étant quasiment coupé du monde depuis le début du conflit.
Vendredi, sur Tigray TV, les autorités tigréennes avaient appelé leurs administrés à se battre, affirmant que l'armée fédérale bombardait leurs "villes et villages", en y "infligeant de lourds dégâts".
Inquiète d'une propagation du conflit à l'échelle régionale, la communauté internationale a également alerté sur de possibles "crimes de guerre" en Ethiopie et tenté de faire pression sur M. Abiy pour qu'il accepte une médiation.
L'UA, dont le siège est à Addis Abeba, a nommé en ce sens trois envoyés spéciaux, les anciens présidents mozambicain Joaquim Chissano, libérienne Ellen Johnson-Sirleaf et sud-africain Kgalema Motlanthe.
Après les avoir rencontrés vendredi, M. Abiy a exprimé sa "gratitude" mais a rappelé que son gouvernement avait "la responsabilité constitutionnelle de maintenir l'ordre (au Tigré) et à travers le pays".
L'UA a remercié dans un communiqué M. Abiy d'avoir reçu ses émissaires, à qui ce dernier a affirmé que l'opération militaire "ne durerait pas longtemps", qu'un comité allait être établi pour "répondre aux besoins humanitaires essentiels" et qu'un corridor humanitaire "allait être identifié et annoncé".
Le pape François a appelé samedi sur Twitter à "prier pour l'Ethiopie, où les combats armés se sont intensifiés" et débouchent sur une "situation humanitaire grave".
"Plusieurs milliers de morts"
Aucun bilan précis des combats n'est jusqu'ici disponible, mais le centre de réflexion International Crisis Group (ICG) a estimé vendredi que "plusieurs milliers de personnes sont mortes dans les combats".
Par ailleurs, plus de 43.000 Ethiopiens ont fui au Soudan voisin, selon le HCR, l'agence onusienne chargée des réfugiés.
Un nombre indéterminé de personnes se déplacent également à l'intérieur du Tigré, et de l'Ethiopie. Le Comité international de la Croix-Rouge a indiqué vendredi avoir comptabilisé au moins 2.000 déplacés dans le nord-est du pays.
Les tensions entre M. Abiy et le TPLF, qui a dominé pendant près de trois décennies l'appareil politique et sécuritaire de l'Ethiopie, n'ont cessé de croître depuis l'arrivée au pouvoir du Premier ministre en 2018.
Elles ont culminé avec l'organisation au Tigré en septembre d'un scrutin régional qualifié "d'illégitime" par Addis Abeba, puis avec l'attaque début novembre de deux bases de l'armée fédérale attribuée aux forces du TPLF, ce que dément ce dernier.