Eviter de nouveaux massacres et enrayer le caractère ethnique du conflit: le Niger, qui menace de sombrer dans le chaos après une série d'attaques parmi les plus meurtrières au Sahel, fait face au défi immense de devoir intensifier plus encore son effort dans la lutte anti-jihadiste.
Les attaques contre des civils se sont multipliées depuis le début de l'année: plus de 300 personnes ont été tuées dans trois séries d'attaques contre des villages et des campements de l'ouest du pays, frontalier du Mali. Aucune n'a été revendiquée.
Mais l'organisation Etat islamique (EI) est montrée du doigt: ses membres sont implantés dans les zones attaquées, et les représailles sont un de leurs modes opératoires.
Dans la région de Tahoua, où 137 civils ont été tués dimanche dans des campements nomades, comme dans celle de Tillabéri - toutes deux proches du Mali -, il y a des "embryons de constitution de milices de résistance", explique Ibrahim Yahaya Ibrahim, chercheur à International Crisis Group (ICG).
"Il faut voir ces attaques comme une forme de punition collective contre ces communautés où une résistance s'organise", estime-t-il.
Dans ces régions rurales et pauvres, les populations subissent la pression des jihadistes de l'EI par le prélèvement de l'impôt islamique - la zakat -, l' enrôlement et la radicalisation des moeurs.
"Les menaces de mort à l'endroit de ceux qui ne paient pas (la zakat) créent la psychose au sein des communautés", explique un récent rapport humanitaire. Certains se défendent en prenant les armes, suivant une logique souvent communautaire.
"Je ne suis pas du tout rassuré", admet Adamou Oumarou Mamar, coordonnateur d'un Collectif de la société civile de Tillabéri, car le conflit est en train de prendre "une autre tournure où des ethnies sont visées".
Dimanche, la totalité des 137 victimes étaient des Touareg.
Comme au Mali voisin, le maillage sécuritaire d'un territoire immense est un défi herculéen. Le Niger a annoncé fin 2020 vouloir doubler ses effectifs militaires en cinq ans, de 25.000 à 50.000 soldats.
"Echec total"
Aujourd'hui, "la sécurité, c'est l'échec total, les gens ont dilapidé les fonds de la défense", estime Amadou Bounty Diallo, un ancien militaire nigérien, en référence à un scandale de surfacturations au ministère de la Défense.
"A 60 km, 100 km de la capitale, on peut tuer des dizaines et des dizaines de civils sans que nos forces ne puissent réagir", constate-il.
Niamey a annoncé avoir déployé des renforts dans les deux régions ciblées.
Mais le "tout-sécuritaire" n'est pas non plus une solution et l'arrivée récente au Niger de 1.200 soldats tchadiens, sous étendard de la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina, Niger et Tchad), inquiète. Ces soldats sont réputés ne pas faire dans la dentelle.
Niamey valorise le dialogue avec les communautés locales visées et refuse toute négociation avec les groupes jihadistes. Objectif, rassurer sur une présence de l'Etat, souvent vu comme prédateur notamment à cause de nombreuses exactions, et faire sortir les jeunes du giron jihadiste.
Suite à ces initiatives menées par la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP), son président, le général Amadou Abou Tarka, s'est targué mardi soir à la télévision publique d'avoir eu "quelques succès". "Nous sommes en dialogue permanent avec les communautés au sein desquelles les groupes terroristes recrutent", a-t-il expliqué, en ajoutant avoir convaincu une "trentaine de repentis".
Ces initiatives doivent s'articuler avec l'effort militaire, érigé attaque après attaque comme "priorité absolue" sans pour autant que la situation s'améliore.
"Il y a des acquis en matière de sécurité et le gouvernement de Mohamed Bazoum va les consolider en corrigeant les lacunes constatées", veut rassurer un de ses proches, Abderahmane Ben Hamaye.
Mais, estime-t-il aussi, "le problème du Niger vient d'ailleurs, il faut avant tout régler impérativement les épineuses questions malienne et libyenne d'abord".
Comme au Burkina Faso, beaucoup au Niger réfutent la présence sur le territoire national de jihadistes et préférent détourner le regard vers le turbulent voisin malien.
Selon un observateur de l'ONU, "peut-être est-il temps que les politiques se rendent compte que les groupes jihadistes recrutent désormais autant du côté nigérien de la frontière qu'au Mali".