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Le flux migratoire vers Mayotte ne faiblit pas, malgré les morts


Des familles de migrants et de réfugiés occupent le sol dans le camp de fortune de la Place de la République à Mamoudzou, capitale de Mayotte, le 16 juin 2016
Des familles de migrants et de réfugiés occupent le sol dans le camp de fortune de la Place de la République à Mamoudzou, capitale de Mayotte, le 16 juin 2016

"Une semaine en mer sous le soleil", peu de vivres, un décès et un corps qu'on jette par dessus bord. "Dallas", un trentenaire congolais, peine à raconter son exode clandestin "traumatisant" vers Mayotte, île française dans l'océan Indien qui reste un eldorado malgré les risques.

Les chavirages des kwassa kwassa, ces petites embarcations de pêche à moteur utilisées par les passeurs, sont réguliers et meurtriers et la surveillance mise en place par les autorités de l'île, située entre l'archipel des Comores et Madagascar, a été encore renforcée pour les empêcher d'aborder.

Mais rien ne semble dissuader les nombreux candidats africains, notamment comoriens, à l'immigration, toujours prêts à prendre tous les risques pour rallier ce bout de France par la mer.

Trois mois après son arrivée dans le département français où il est venu demander l'asile, "Dallas", désormais migrant sans papiers, peine encore à évoquer son périple. "Après ce qui s'est passé sur le bateau, je ne serai plus jamais le même".

Si beaucoup de clandestins s'élancent depuis l'île comorienne d'Anjouan, à 70 km de Mayotte, lui a quitté la Tanzanie à bord d'une première embarcation avant d'être transféré directement en mer à bord d'un kwassa kwassa, direction l'île française.

"On a passé une semaine en mer sous le soleil, il n'y a rapidement plus eu d'eau ni de nourriture. Une femme est morte, les passeurs ont jeté son corps par dessus bord. Et puis le kwassa est arrivé pour nous amener à Mayotte", décrit-il sous un prénom d'emprunt à un correspondant de l'AFP.

- "Plus de risques" -

Depuis 2019, l'Etat français a considérablement augmenté ses moyens de lutte contre l'immigration clandestine vers Mayotte à travers un programme nommé "Opération Shikandra".

La présence 24 heures sur 24 d'au moins trois bateaux intercepteurs en mer et une surveillance aérienne ont permis l'an dernier d'interpeller 6.355 migrants, 324 passeurs et de détruire 459 kwassa kwassa, selon la préfecture.

Et le rythme ne faiblit pas selon des statistiques officielles publiées en avril: pas moins de 2.269 migrants interpellés et 163 barques détruites sur les quatre premiers mois de l'année.

Cette pression renforcée a un revers. "Ça ne décourage pas les migrants, déterminés coûte que coûte à quitter leur pays, mais ça rend les trajets plus dangereux car les passeurs prennent plus de risques", estime Pauline Le Liard, une responsable locale de la Cimade, ONG française de défense des migrants.

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"C'est devenu beaucoup trop risqué", confie à l'AFP un passeur repenti d'Anjouan qui préfère taire son nom. "Comme on sait que beaucoup sont détruits par la police française, les fabricants de kwassa font du très bas de gamme, du jetable, on met aussi des moteurs moins chers, moins puissants et plus de monde sur les bateaux", explique-t-il. "Moi, je ne veux plus voir tout ce qui se passe en mer", poursuit-il, disant ne plus pouvoir "compter tous ceux qui sont morts dans les chavirements".

- "A demain inch'Allah" -

L'homme a lui-même cru mourir lorsqu'une nuit, en pleine tempête, il a dû couper ses moteurs en attendant que la police aux frontières française s'éloigne de sa route. Finalement, son embarcation a pu gagner les côtes mahoraises.

Zaïd, lui, n'a pas réussi. Il a 17 ans lorsque, le 28 août 2021, le kwassa kwassa qu'il occupe avec une vingtaine de migrants chavire au sud de Mayotte, qu'il espérait rallier pour y retrouver sa famille.

"Il m'a appelé pour me dire: +Mama, on embarque+, je lui ai répondu +à demain inch'Allah+. Et je ne l'ai plus jamais revu", se souvient sa grande sœur Chaharizade Ali, 41 ans.

L'océan ne le lui a pas rendu. Elle aurait préféré "que l'on retrouve son corps, savoir qu'il est vraiment mort et qu'on l'enterre pour que l'on puisse tous trouver la paix".

Faute de statistiques fiables, le coût humain des traversées clandestines entre Anjouan et Mayotte reste difficile à évaluer.

Au début des années 2000, un rapport d'information du Sénat français estimait qu'un millier de personnes y perdaient la vie chaque année. Depuis 2020, les secours maritimes ont officiellement enregistré 14 chavirages et 140 morts ou disparus dans les seules eaux de Mayotte.

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