Le 9 août, 22,1 millions de Kényans désigneront l'ensemble de leurs représentants, du président de la République aux assemblées de comté, en passant par les députés, sénateurs et gouverneurs. Six scrutins au total, terme de six campagnes qui ont rythmé la vie du pays ces derniers mois.
Ce géant d'Afrique de l'Est a paru moins passionné cette année que lors de précédentes élections. Outre les habituels convois électoraux crachant musique et slogans et les portraits géants le long des rues, les candidats se sont démenés pour tenter de sortir les électeurs d'une certaine apathie.
Dans la capitale Nairobi, la course au poste de gouverneur a parfois pris un tour inattendu avec Polycarp Igathe, candidat du parti présidentiel. Cet ancien responsable commercial d'une grande banque est un visage connu des Nairobiens. Il avait été élu vice-gouverneur en 2017 sur le ticket du sulfureux Mike Sonko, avant de démissionner en raison de désaccords.
Cette année, Igathe a été vu passant la serpillère dans des toilettes publiques, donnant un coup de main pour laver des voitures, vendant des chapatis dans la rue, servant des bières dans un bar-restaurant...
Hommages politiques
Cette campagne inhabituelle a déclenché un torrent de commentaires sur les réseaux sociaux, parfois enthousiastes, le plus souvent ironiques.
"Nairobiens, sachez qu'il y a quelqu'un du nom de Polycarp Igathe, il peut facilement entrer chez vous dès 05H00 du matin pour préparer le petit-déjeuner et même faire la vaisselle. Il est accompagné de dix caméras et de sécurité. Ne les confondez pas avec des CAMBRIOLEURS", a raillé un internaute sur Twitter.
"Je prévois d'aller au salon de coiffure demain. Pourquoi je vous dis ça ? Je poste juste ça là au cas où Polycarp Igathe serait de service pour les shampooings", blaguait une autre. Le candidat a revendiqué cette stratégie. "La façon dont j'ai conçu ma campagne, ma première phase était de m'ancrer et de m'enraciner dans le quotidien des Nairobiens", expliquait-il en mai.
Au Kenya, un autre lieu pour être vu et entendu du plus grand nombre sont les enterrements. Sous le règne de l'autocrate Daniel Arap Moi (1978-2002), ces cérémonies étaient un des rares espaces où la parole se libérait. "Faire campagne aux enterrements, c'est devenu une culture. C'est un endroit où beaucoup de personnes sont réunies, un public clé en main. Vous avez juste à venir et parler", explique l'analyste politique Nerima Wako-Ojiwa.
Fin avril, les funérailles de l'ancien président Mwai Kibaki (2002-20013), auxquelles assistaient le chef de l'Etat sortant Uhuru Kenyatta et les deux principaux concurrents à la présidentielle Raila Odinga et William Ruto, ont ainsi donné lieu à des hommages funèbres aux accents électoraux, chacun revendiquant son héritage dans son fief du Mont Kenya, région réputée stratégique électoralement.
Musique électorale
Depuis l'avènement du tube "Unbwogable" qui a porté la victoire de Kibaki en 2002 et mis fin aux 24 années de pouvoir de Moi, la musique est devenue un élément-clé des stratégies électorales.
Cette année, on a pu voir Odinga, 77 ans, dans plusieurs clips musicaux, dont le hit "Leo ni Leo" ("C'est aujourd'hui") où il apparaît en blouson bombers entouré de jeunes. Certains observateurs ont vu dans ces déhanchements une tentative du septuagénaire de se montrer en prise avec la nouvelle génération.
Une chanson a été au coeur de controverses: le tube de rap "Sipangwingwi". Depuis sa sortie à l'automne 2021, ce titre de deux lycéens – qui peut se traduire par "On décide pas pour moi" – a cumulé plus de 7,5 millions de vues sur YouTube et été reprise sur des dizaines de milliers de vidéos TikTok. Le duo s'est déchiré, l'un soutenant Odinga, l'autre Ruto, chacun venant interpréter le tube à leurs conventions d'investiture respectives.
William Ruto en a fait un slogan de campagne, avec la variante "Hatupangwingwi" ("On décide pas pour nous"), en défiance aux "dynasties" politiques représentées par Odinga et son soutien Kenyatta. Mais en avril, la formule "hatupangwingwi" a été classée par une commission gouvernementale parmi 12 expressions interdites car susceptibles d'alimenter des discours de haine.
Dans les heures suivant l'annonce, Ruto postait sur Twitter le message "Hatupangwingwi !" accompagné d'un remix du clip de "Sipangwingwi", le mettant en scène avec un des auteurs. En juillet, un tribunal a invalidé l'interdiction de la formule, relançant la viralité du slogan à moins d'un mois du jour J.