Ismaël Soumahoro jouait en première division en Côte d'Ivoire lorsqu'un agent l'a convaincu "que le football en Afrique, c'est bien mais qu'il vaut mieux tenter sa chance en Europe", se souvient celui qui avait alors 16 ans.
Après avoir versé 3.000 euros, il est envoyé à Krasnodar, dans le sud de la Russie, où un club local l'entraîne jusqu'à ce que son visa de tourisme expire. Il se retrouve alors sans équipe ni revenu, maîtrisant à peine la langue russe, dans un pays aux hivers glacés et interminables.
"C'était très dur, je ne savais pas quoi faire", confie-t-il. "Tu es pris par le découragement, tu as perdu des deux côtés: ton club au pays et tes rêves. Du coup, tu n'es plus rien".
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Si les clubs russes de "Première Ligue" (première division) engagent des joueurs étrangers, il faut être Russe ou avoir un permis de résidence russe - onéreux et difficile à obtenir - pour être intégré à un club de la deuxième ou troisième division.
Ernest Akhilomhen était sélectionné chez les équipes de jeunes du Nigeria. Venu tenter sa chance à 16 ans en Russie, le milieu de terrain ne cesse d'entendre les entraîneurs russes lui répéter: "On veut te signer mais tu n'as pas les bons papiers".
"Je suis obligé de viser la Première Ligue, c'est la seule qui accepte les étrangers", résume-t-il. "C'est la raison pour laquelle je suis là: je garde espoir".
Plusieurs fois par semaine, il retrouve Ismaël Soumahoro sur un terrain dans un parc en banlieue de Moscou. L'Ivoirien y entraîne les "Black Stars", une équipe qu'il a créée pour que les joueurs africains "gardent la forme et le moral".
"Les agents, ils nous ont fait des fausses promesses mais on ne va pas rentrer au pays parce que quelqu'un nous a fait de fausses promesses", martèle-t-il devant son équipe.
"Agents-passeurs"
Chaque année, 6.000 footballeurs mineurs quittent l'Afrique de l'Ouest en espérant intégrer un club européen, selon l'ONG Foot Solidaire. Le chiffre total comprenant les majeurs est difficile à estimer.
Partout sur le continent africain, en ville comme à la campagne, des rabatteurs font miroiter à des apprentis footballeurs une carrière internationale, empochant en échange des sommes endettant parfois toute une famille, raconte à l'AFP Christophe Gleizes, auteur d'un livre, "Magique Système", sur le phénomène.
"Ce sont des arnaques bien montées, avec des papiers officiels signés par les clubs: Spartak, Zenit... Ces agents-passeurs exploitent la confiance et les rêves de ces jeunes", soupire-t-il.
"Les joueurs africains ne sont pas des footballeurs migrants, ce sont surtout des migrants footballeurs prêts à tout pour avoir une vie meilleure. L'eldorado du foot européen les rend aveugles", décrit-il.
Et la Russie, pays-hôte de la Coupe du Monde du 14 juin au 15 juillet, fait partie des destinations "qui montent" auprès de ces "vendeurs de rêves": les visas de tourisme sont plus faciles à obtenir que pour les pays européens et son championnat est considéré comme un "tremplin" vers les compétitions européennes plus prestigieuses.
Petits boulots
Arrivé en Russie à 15 ans pour devenir footballeur professionnel, Mouhamed Koné n'a jamais rencontré ni le manager ni le club promis. Avec l'aide de compatriotes, il a trouvé un petit appartement qu'il partage avec huit autres personnes.
Pour payer le loyer, il part chaque jour coller des petites annonces à Serguiev Possad, à 80 kilomètres au nord de Moscou, gagnant entre 27 euros et 50 euros par semaine.
"Je suis sans papiers ici, j'ai perdu mon passeport. A chaque fois que je vois la police, j'ai très peur", explique le jeune garçon. "Je ne conseillerais à personne de venir en Russie pour avoir une carrière de footballeur".
D'autres joueurs africains aux rêves déchus travaillent comme coiffeur, figurant, ou font la plonge dans des restaurants pour joindre les deux bouts.
Ismael Soumahoro est devenu pour sa part l'entraîneur de grands et petits Moscovites. Huit ans après son arrivée en Russie, il continue à espérer d'être un jour remarqué par un club de première division: "Si tu as ton objectif à atteindre, avec ou sans papiers, tu réussiras. La solution est dans tes rêves".
Avec AFP