"L'épidémie qui se propage est une question sécuritaire et sanitaire nationale qui impose une restriction de certaines libertés, temporairement", a déclaré le président Abdelmadjid Tebboune dans un discours télévisé, en annonçant l'interdiction des rassemblements et des marches "quelles qu'en soient leurs formes et nature".
Vendredi encore, les manifestants du "Hirak", mouvement de contestation inédit du régime, déclenché le 22 février 2019, bravaient par milliers la menace du virus à Alger et en province.
Et le lendemain, quelques centaines d'irréductibles avaient été violemment dispersés par la police dans la capitale.
Toutefois, plusieurs figures du soulèvement pacifique exhortaient publiquement ces derniers jours à suspendre les marches hebdomadaires tant que sévirait la pandémie, alors que le dernier bilan officiel fait état de cinq décès et de 60 personnes contaminées en Algérie.
"La sagesse nécessite la suspension temporaire des marches afin de préserver la santé publique. C'est le meilleur moyen de préserver le +Hirak+ tout en réfléchissant collectivement aux alternatives", a plaidé Mustapha Bouchachi, un avocat écouté, sur Facebook.
Chez les opposants au pouvoir, on en appelle aussi à "la responsabilité de tous pour faire prévaloir la santé des Algériens", comme l'a demandé Mohcine Belabess, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD).
Le RCD a décidé de renoncer temporairement aux marches du "Hirak" tandis que le Front des Forces socialistes (FFS) souhaite "poursuivre la révolution sous d'autres formes".
- "Il faut être vivant" -
"En Révolution, la raison prime sur la passion. Pour vivre libre, il faut être vivant", a renchéri Saïd Sadi, un autre opposant.
Un avis que partage l'ex-ministre et diplomate Abdelaziz Rahabi.
"La suspension temporaire des marches, en raison des risques sanitaires, s'impose comme un devoir national et préserve notre droit à manifester librement pour une Algérie plus juste et plus forte", a-t-il estimé sur Twitter.
Résultat: dans un communiqué commun, plusieurs associations étudiantes ont dit suspendre leur participation aux marches hebdomadaires du mardi et du vendredi, jusqu'à présent le seul thermomètre de la protestation populaire, afin de ne pas "porter la responsabilité de la propagation de la maladie".
Des médias favorables à la contestation ont opté pour une démarche similaire.
Le site d'information Interlignes a interrompu sa couverture du "Hirak" pour des raisons de sécurité, tout comme le journaliste Khaled Drareni, arrêté à plusieurs reprises.
"Je suspends ma couverture pour le bien de tous. Nous reviendrons plus forts qu'avant", a-t-il promis sur Twitter.
Le ministre de la Santé Abderrahmane Benbouzid n'a pas manqué lui d'en appeler au "bon sens patriotique" et averti que "scientifiquement, il est très dangereux de poursuivre le Hirak".
- #Restez_chez_vous -
Certains internautes font contre mauvaise fortune bon coeur, maniant l'ironie et adaptant les slogans de la contestation aux temps du nouveau coronavirus.
"Etat civil, pas viral", affichent certaines publications en lieu et place du slogan phare "Etat civil, pas militaire".
Au "Dégagez tous!" adressé aux tenants du régime, succède "Eduquons nous tous!", à l'attention des Algériens. Un mot d'ordre citoyen qui entend les pousser à respecter les règles d'hygiène, à limiter leurs déplacements et à protéger les plus vulnérables.
Sur Twitter, le mot-clé #Restez_chez_vous incite les Algériens au confinement volontaire, y compris les "hirakistes".
"Arrêtez de dénoncer un complot visant le +Hirak+ en parlant de l'arrêt des marches hebdomadaires! Le Hirak ne se réduit pas aux marches. Le Hirak est une conscience citoyenne en construction. Il s'inscrit dans la durée", a réagi un internaute sur Facebook.
"Le +Hirak+ devra rester comme acteur citoyen de sensibilisation, de solidarité et s'il le faut de mobilisation nationale contre le +corona+", affirme Saïd Salhi, le vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH).
Sur les réseaux sociaux, les Algériens ne manquent pas d'idées pour remplacer les manifestations: participer virtuellement au "Hirak" sur internet ou protester depuis le balcon des immeubles.
"Le +Hirak+ doit se réinventer. C'est une opportunité pour sortir du folklore des marches", espère Khaled sur Twitter.