Ces divergences se sont publiquement affichées ces derniers jours avec le vote de l'Egypte à l'ONU samedi en faveur d'une résolution russe sur la Syrie farouchement décriée par l'Arabie saoudite. Ou encore la décision surprise de Ryad de suspendre ce mois-ci la livraison de produits pétroliers au Caire, pourtant vitale.
"On parle toujours d'alliance stratégique entre Le Caire et Ryad. Ce n'est pas la réalité", assène le commentateur politique égyptien Abdallah al-Sinawi.
Ryad a certes apporté un soutien sans faille au président égyptien Abdel Fattah al-Sissi depuis qu'il a destitué l'islamiste Mohamed Morsi en 2013, offrant au Caire plusieurs milliards de dollars en aides.
Mais les deux capitales ne partagent pas la même analyse sur la stratégie pour mettre fin aux conflits en Syrie et au Yémen.
"Une alliance stratégique, ça signifie une entente en ce qui concerne les dossiers régionaux. Ce n'est pas le cas pour la Syrie et le Yémen", souligne M. al-Sinawi.
Ryad finance des opposants en guerre contre le régime syrien de Bachar al-Assad, épaulé par l'Iran, tandis qu'au Yémen, elle est engagée militairement contre des rebelles chiites Houthis, également soutenus par Téhéran.
"Le Caire ne voit pas la menace posée par les Iraniens", selon le journaliste et analyste saoudien Jamal Khashoggi.
"L'Arabie saoudite a toléré la position égyptienne encore et encore, mais le vote à l'ONU a été la goute d'eau qui a fait déborder le vase", indique-t-il. Le Caire a provoqué la colère de Ryad en votant à l'ONU en faveur de la résolution de la Russie, qui a mis son veto sur un autre présenté par la France avec le soutien saoudien.
Crainte d'une "nouvelle crise"
L'ambassadeur saoudien à l'ONU Abdallah al-Mouallimi a même déclaré à Al-Jazeera qu'il était "pénible que les Sénégalais et les Malaisiens aient des positions plus proches du consensus arabe, que celle du représentant arabe (au Conseil de sécurité, l'Egypte, ndlr)".
"L'Arabie saoudite a une position tranchée en ce qui concerne le départ de Bachar al-Assad, et y voit la solution à la crise. Tandis que l'Egypte est pour une solution politique, qui inclut M. Assad", confirme Al-Sayyed Amin Chalabi, directeur du conseil égyptien pour les affaires étrangères, un cercle de réflexion indépendant.
Au Yémen, l'armée égyptienne participe officiellement depuis 2015 à la coalition lancée par l'Arabie saoudite pour lutter contre les Houthis, et s'est même engagée à mettre des troupes à disposition pour une intervention au sol si nécessaire.
Mais les commentateurs estiment qu'en coulisse, l'Egypte est réticente à s'engager activement.
"L'Egyte évite de s'impliquer, en raison de son expérience difficile dans les années soixante", rappelle M. al-Sinawi, en référence à l'intervention militaire au Yémen ordonnée par Gamal Abdel Nasser considérée comme un "Vietnam égyptien".
Et pour l'économiste égyptien Ibrahim al-Ghitani, la décision du géant pétrolier Aramco de suspendre la livraison à l'Egypte de 700.000 tonnes de produits pétroliers est indéniablement motivée par des "questions politiques".
L'annonce, qui officiellement concerne le mois d'octobre seulement, n'est pas sans conséquence pour le plus peuplé des pays arabes: Le Caire importe chaque mois 1,75 millions de tonnes de produits pétroliers, dont 40% d'Arabie saoudite.
En avril, Ryad avait passé un accord de plus de 20 milliards de dollars avec l'Egypte pour la fourniture, sur cinq ans, de 700.000 tonnes de produits pétroliers par mois.
"Je ne pense pas qu'il y ait de problème technique avec la compagnie saoudienne. On n'a jamais entendu parler d'une telle suspension avec n'importe quel autre pays", s'étonne M. al-Ghitani.
Malgré ces dissonances, l'Arabie saoudite n'abandonne pas pour autant son allié égyptien, confronté à une profonde crise économique depuis la révolte ayant chassé en 2011 Hosni Moubarak du pouvoir.
"Le royaume s'inquiète de la mauvaise situation économique en Egypte", qui est susceptible de déclencher "une nouvelle crise", estime M. Khashoggi. Ryad ne "veut pas ajouter davantage de pression sur le gouvernement égyptien", conclut-il.
Avec AFP