Le 22 février 2020, sous la pression internationale et après un an de négociations et d'atermoiements, les ennemis jurés Salva Kiir et Riek Machar ont accepté de gouverner ensemble, pour la troisième fois depuis l'indépendance du pays en 2011. Le premier en tant que président, le second comme vice-président.
Ce principe de partage du pouvoir avait été fixé dans un accord de paix signé en 2018 pour mettre fin à cinq années de guerre civile qui ont fait plus de 380.000 morts et 4 millions de déplacés.
Mais un an après, quasiment aucun des autres engagements prévus n'a été respecté: le parlement ne s'est pas réuni, des postes ministériels sources de litiges ne sont toujours pas pourvus et les troupes de Kiir et Machar ne sont pas réunies dans une armée commune.
"Avec les deux hommes qui continuent de diriger chacun leurs forces, le pays peut rapidement à nouveau basculer dans la guerre", mettait en garde l'International Crisis Group dans un récent rapport.
Armée pas unifiée
Après les visites de plusieurs camps militaires ce mois-ci, une délégation composée de représentants gouvernementaux et militaires a estimé qu'"aucun progrès" n'avait été fait dans l'organisation de la nouvelle armée, plus de 18 mois après sa date de déploiement prévue.
Les centres censés assurer la formation des troupes souffrent de nombreuses pénuries (nourriture, médicaments, uniformes) et beaucoup de soldats, gouvernementaux comme rebelles, ont déserté.
Dans le camp de Rajaf (sud du pays), 26 soldats sont morts de faim ces derniers mois, a assuré à l'AFP le colonel James Kor qui y est instructeur-adjoint.
"Nous n'avons aucun médicament. J'ai la diarrhée et la typhoïde mais quand je vais à la clinique, il n'y a rien. Nous mangeons du riz nature et rien d'autre", raconte Abraham Magaya Aleu, un soldat gouvernemental basé dans ce camp.
Il explique recevoir un solde d'environ 1.000 livres (1,40 euros) par mois, une somme rendue encore plus dérisoire par l'inflation galopante.
"Les retards prolongés et le temps passé sans faire aucun progrès nuisent à une paix durable au Soudan du Sud", estime le major général Charles Tai Gituai, président par intérim du RJMEC, l'organisme qui surveille la mise en œuvre du processus de paix.
Famine et violences
Une violence croissante gangrène le pays.
"Si l'accord de paix revitalisé a permis une accalmie des hostilités à l'échelle nationale, il n'a pas ou peu eu d'impact au niveau local", soulignait vendredi dans un communiqué la Commission des droits de l'homme des Nations Unies pour le Soudan du Sud, dénonçant des niveaux de violence alarmants.
La guerre fait rage dans la région méridionale de l'Equatoria, où les forces gouvernementales combattent des rebelles qui refusent le processus de paix.
Les affrontements intercommunautaires se sont également multipliés dans plusieurs Etats livrés à l'anarchie en attendant qu'à Juba, les camps rivaux se mettent d'accord sur la nomination des gouverneurs.
Selon l'ONU, plus d'un millier de personnes ont ainsi été tuées et 400 autres enlevées dans des conflits communautaires entre mai et novembre 2020, notamment dans les Etats du Warrap (nord) et Jonglei (est).
"Nous craignons que la lenteur des réformes prévues dans l'accord de paix n'empire encore à mesure que des acteurs nationaux se mêlent aux violences locales et les alimentent", a averti en février David Shearer, l'envoyé spécial de l'ONU dans le pays.
Outre les violences, la population civile a également été frappée par la sécheresse, les inondations et des invasions de criquets pèlerins qui ont dévasté les récoltes.
Plus de 7,2 millions de Sud-Soudanais, soit près de 60% de la population, souffriront de malnutrition aiguë à la mi-2021, selon les autorités locales et les agences de l'ONU.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) a estimé cette semaine que certaines régions souffraient de privations semblables à la famine.
Le désespoir est général dans le plus jeune pays du monde, qui n'a connu quasiment que la guerre depuis son indépendance en 2011.
"Ce n'est pas la première fois que nous appelons ces mêmes dirigeants à s'acquitter de leurs responsabilités envers notre pays et les citoyens de cette nation", écrivaient ce mois-ci les dignitaires de l'Église et groupes de la société civile dans un appel commun.
"Malheureusement, ces appels n'ont apporté aucun changement significatif à la crise actuelle.", concluaient-ils.