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Au Gabon, les anciens travailleurs malades d'Areva demandent toujours réparation


Rolland Mayombo, un ancien employé de la Compagnie des mines d'uranium de Franceville à Mounana, Gabon, le 11 juillet 2017.
Rolland Mayombo, un ancien employé de la Compagnie des mines d'uranium de Franceville à Mounana, Gabon, le 11 juillet 2017.

"On est tous malades! Au niveau de la santé, ils nous couillonnent !" : à 82 ans, Moïse Massala, géochimiste en retraite n'en finit plus de pester contre son ancien employeur, la Compagnie des mines d'uranium de Franceville (Comuf), filiale du groupe français Areva au Gabon.

Comme Moïse, des centaines d'anciens travailleurs gabonais de la Comuf réclament réparation - sans succès depuis douze ans - pour des maladies qu'ils estiment être liées à leur travail, dans la mine d'uranium exploitée entre 1958 et 1999 par le groupe nucléaire dans le sud-est du pays.

Ceci alors que deux familles d'anciens travailleurs français de la Comuf ont été indemnisées en France, et qu'Areva a reconnu, dans un mail interne que l'AFP a pu consulter, que "de nombreuses maladies graves ont été détéctées" chez d'anciens travailleurs gabonais.

"Ça fait dix ans que j'ai du mal à respirer, l'air ne passe plus". Roland Mayombo, 77 ans, "dont vingt-sept à la mine", participe activement à la lutte du collectif formé par 1.618 anciens employés gabonais de la filiale d'Areva, le Mouvement des anciens travailleurs de la Comuf (Matrac), pour faire reconnaître leur cause.

Mais si le groupe nucléaire français avait accepté de créer un Observatoire de la Santé (OSM, lancé avec l'Etat gabonais), en 2010, pour "suivre l'état des travailleurs et les indemniser", Areva a toujours affirmé qu'"aucune maladie professionnelle liée à l'exposition aux rayonnements ionisants" n'y a jamais été décelée.

En 2015, dans un mail interne à la Comuf, consulté et authentifié par l'AFP auprès de plusieurs destinataires, le directeur santé d'Areva, Pierre Laroche, admet pourtant que "de nombreuses maladies graves ont été détectées chez des anciens salariés comme par exemple des tuberculoses en phase contagieuse".

Pour les anciens travailleurs, ce courrier est la reconnaissance officieuse de leurs blessures, et justifie indemnisations - même si ces maladies ne sont peut-être pas reconnues comme étant radio-induites.

M. Seki, un ancien employé de la Compagnie des mines d'uranium de Franceville à Mounana, Gabon, le 11 juillet 2017.
M. Seki, un ancien employé de la Compagnie des mines d'uranium de Franceville à Mounana, Gabon, le 11 juillet 2017.

David contre Goliath

"Cette histoire, c'est David contre Goliath. Qu'est ce que vous voulez qu'une bande de vieillards fassent contre une entreprise comme la Comuf?", soupire encore Moïse, qui a perdu son frère, ancien prospecteur dans la mine, "d'une maladie bizarre" il y quelques années.

Assis dans un café de la petite ville de Mounana, dans le Haut-Ogoué (sud-est du Gabon), Moïse et ses anciens collègues ressassent le passé et se sentent "impuissants": ils sont persuadés qu'ils sont malades à cause de la mine, mais ne peuvent le prouver.

En 2007, interpellées par les anciens travailleurs, les ONG françaises Sherpa et Médecins du Monde se saisissent du dossier. Elles réalisent des enquêtes de terrain à Mounana, et publient un rapport dénonçant le taux élevé de cancers parmi les salariés ou ex-salariés de ces mines d'uranium au Gabon et au Niger.

Le groupe nucléaire ouvre des négociations, et un accord "sans précédént" est signé en 2009.

"On croyait avoir gagné", assure Moïse, alors que l'OSM voit le jour et redonne espoir aux anciens travailleurs.

Mais sept ans après, les locaux de l'OSM à Mounana, à quelques km de l'ancienne mine, sont fermés, les panneaux indicateurs sont à même le sol et plus aucun travailleur gabonais n'y est suivi. Aucun d'eux n'a été indemnisé.

"Nous avons décidé d'arrêter d'y aller car personne ne nous a jamais donné nos résultats d'analyse", se souvient Estime Beno Ngodi, président du Matrac.

"L'observatoire a bien fonctionné jusqu'en 2015, il s'est adressé à près de 667 anciens salariés. Le Conseil d'administration à l'unanimité a décidé d'en suspendre l'activité" en raison du boycott par le Matrac, dit le directeur du Conseil d'administration de la Comuf, Gilles Recoché.

Et d'ajouter: "notre fierté est d'avoir mis en place une structure tripartite unique, qui permet aussi aux anciens travailleurs de la Comuf de bénéficier d'une visite médicale gratuite".

"J'ai été quatre fois à l'OSM, chaque année, mais je n'ai jamais eu de résultat", rétorque M. Mayombo, qui porte tout de même une casquette rouge de la Comuf, se disant "fier" d'y avoir travaillé malgré les "complications". Le syndicat estimait, fin 2016, que 367 anciens travailleurs sont décédés "à la suite d'infections respiratoires pulmonaires".

En 2010, une étude demandée par l'UE dénonçait l'opacité des résultats d'analyse, comme l'ONG Sherpa, qui s'est offusquée du "maintien dans l'ignorance" des anciens travailleurs.

"Tous les résultats étaient donnés à la fin des consultations. Une copie était remise à l'ancien travailleur", assure en réponse Steeve Mbuy' Ibutsi, secrétaire exécutif de l'OSM, qui s'étonne de cette "incompréhension".

"Il y a une désinformation" de la part du Matrac, affirme pour sa part le directeur du Conseil d'administration de la Comuf, Gilles Recoché.

'On est malades et on meurt'

Qui a raison, des Gabonais qui affirment "tomber comme des mouches" à cause de leur travail à la mine ou d'Areva qui estime qu'aucune maladie professionnelle n'a été décelée ?

"Qu'il y ait eu de la radioactivité à Mounana, c'est une réalité. Après, à quel degré et dans quelle mesure les travailleurs ont été touchés, il sera très compliqué de l'établir", confie à l'AFP un ancien haut cadre de la mine, sous couvert d'anonymat.

La dénomination même des maladies professionnelles liées au travail à la mine des travailleurs gabonais fait débat: "moi, j'ai mal au poumon. Mais ils me disent que ce n'est pas lié", dit un ancien travailleur de la mine.

Dans la loi française, qui date de 1984 et de laquelle dépend Areva et sa filiale au Gabon, 13 maladies seulement sont imputables aux rayonnements ionisants.

"Ce n'est pas évident qu'on trouve des maladies professionnelles chez les anciens travailleurs avec la grille utilisée. Mais c'est possible qu'on trouve des maladies liées au travail, mais considérées comme non-professionnelles, et donc non indemnisées", décrypte Steeve Ondo, médecin du travail gabonais et membre du Comité scientifique de l'OSM.

"C'est édifiant! Le tableau de maladies professionnelles n'a pas été actualisé depuis 1984... Une aberration devant les progrès faits en médecine", estime de son côté Jacqueline Gaudet, fondatrice de l'association française "Mounana", qui se bat pour l'indemnisation des anciens travailleurs expatriés de la Comuf.

Son association a fait porter deux fois à l'Assemblée nationale française une demande pour réviser le code de la Sécurité sociale, sans succès.

En France, deux familles d'anciens travailleurs décédés d'un cancer du poumon - dont celle de Mme Gaudet - ont été indemnisées en 2011. "Une première", avait salué à l'époque l'avocat des familles.

Au Gabon, l'amertume est grande. "Nous, on est malades et on meurt, mais ils ne nous l'ont jamais dit!", répète encore et toujours Estime Beno, qui affirme souffrir d'un cancer du poumon et avoir du aller jusqu'en Afrique du Sud pour qu'on le lui diagnostique.

L'association Mounana dit avoir porté plainte contre Areva devant la justice gabonaise. "Par douze fois, on a été débouté", expliquent le président du Matrac, ainsi qu'un ancien avocat du collectif.

La Comuf dément: "il y a des discussions, des menaces, des démonstrations de forces (de la part du Matrac) pour empêcher en 2015 les consultations de l'OSM, mais à ma connaissance, je n'ai jamais eu en main de plainte officielle", rétorque M. Recoché.

La Comuf a cessé toute exploitation au Gabon en 1999, et a suspendu l'exploration de nouveaux gisements en 2017. "Le temps joue pour eux. On n'arrêtera pas, c'est jusqu'à la mort", tape du poing M. Mayoumbo.

Avec AFP

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