Comme des centaines d'autres petits vendeurs informels du marché de Blantyre, la capitale économique du pays, Thom Minjala a gagné une semaine de répit.
"Si le confinement avait été appliqué, on serait certainement mort de faim plutôt que du coronavirus", estime ce chiffonnier. "Bien sûr qu'on a peur de la maladie mais notre souci, c'est la faim. On n'a pas d'argent de côté, tout ce qu'on peut gagner au quotidien sert à nous nourrir".
Le président Peter Mutharika avait annoncé la semaine dernière à ses 17 millions d'habitants qu'ils allaient devoir rester chez eux pendant trois semaines pour freiner la pandémie de Covid-19, comme dans nombre d'autres pays du continent.
Selon le dernier bilan, seuls 17 cas d'infection, dont deux mortels, ont été jusque-là rapportés officiellement.
Mais dans ce pays considéré comme l'un des plus démunis de la planète, beaucoup redoutent une catastrophe. Dans son discours télévisé à la nation, le chef de l'Etat a lui-même avancé un bilan possible de 50.000 morts.
A la surprise générale, la Haute cour du pays, saisie par la société civile, a pourtant suspendu l'entrée en vigueur de l'ordre présidentiel, prévue samedi dernier, pendant une semaine. Une première dans le continent.
Le gouvernement a très mal accueilli cette rebuffade judiciaire, jugée dangereuse. "Le juge n'a pas interdit au virus de se propager pendant les sept jours de sursis à exécution qu'il a ordonné", a raillé le procureur général du pays, Kalekeni Kaphale, dans les médias locaux.
"Le confinement est possible s'il est accompagné de mesures sensées qui ne visent pas à entraver les libertés de la population", rétorque Gift Trapence, à la tête de la Coalition des défendeurs des droits humains (HRDC) qui a saisi la justice.
- 'Comment survivre ?' -
Dès l'annonce de mesures de confinement, des milliers de petits commerçants inquiets sont descendus dans les rues de plusieurs villes du pays pour crier qu'ils ne le respecteraient pas.
"Ils (le gouvernement) auraient dû (...) faire en sorte que les pauvres aient à manger et demander aux propriétaires de ne pas réclamer leurs loyers pendant plusieurs mois", estime un autre vendeur de Blantyre, George Mithengo.
"Mais ils ont juste dit +allez, on confine+", rouspète-t-il, "comment espéraient-ils qu'on pourrait survivre ?"
La Haute Cour doit entendre cette semaine les arguments des deux parties avant de se prononcer sur le dossier.
Quelle que soit sa décision, beaucoup reprochent au gouvernement de ne s'être même pas préoccupé des conséquences de ses décisions sur une population dont, selon la Banque mondiale, plus de la moitié (51%) vit sous le seuil de pauvreté.
"L'exercice sans contrôle du pouvoir par des gens qui usent de pouvoirs d'exception pour protéger des vies peut au final causer beaucoup plus de victimes", a estimé l'ancien procureur général Ralph Kasambara, "ces pouvoirs d'exception peuvent constituer le début de la tyrannie".
Cette inquiétude est partagée au sein de la population malawite, dont la confiance envers le gouvernement a été écornée depuis les élections de l'an dernier.
La réélection de M. Mutharika a en effet été annulée par la justice pour cause de fraudes et les tensions politiques restent vives dans le pays en vue du nouveau scrutin présidentiel, programmé le 2 juillet.
Cette défiance est le fruit "des privations, de la frustration et d'un sentiment d'injustice", juge le psychologue Limbika Maliwichi-Senganimalunje, de l'université du Malawi.
Au milieu des étals du marché de Blantyre, le vendeur George Mithengo reste préoccupé. Il le sait, le sursis inattendu que lui a offert la justice risque d'être de courte durée. "Si on est confinés", répète-t-il, "on mourra chez nous".