A 19 ans, Hassan trouve "normal de défendre son pays". Employé dans un restaurant populaire du centre de Rabat, la capitale du royaume, il se dit "prêt à rejoindre l'armée en cas de besoin".
Kenza, une étudiante de 19 ans, se dit "très surprise" par le retour de la conscription, annoncée mi-août par un communiqué du palais royal. Pour elle, "c'est une bonne chose par rapport à la jeunesse délinquante", mais qui "n'apporterait pas beaucoup aux étudiants".
Comme Hassan et Kenza, des millions de jeunes Marocains et Marocaines, entre 19 et 25 ans, sont susceptibles d'être appelés sous les drapeaux pendant un an, d'après le projet de loi pour le rétablissement du service militaire obligatoire.
Présenté 12 ans après la suppression de la conscription, le texte a été adopté par le gouvernement et doit être débattu au Parlement la semaine prochaine.
Des peines allant d'un mois à un an de prison sanctionneront ceux refusant de répondre à l’appel. Des exemptions sont prévues en cas d'inaptitude physique, d'études ou pour celles qui élèvent des enfants.
Interrogations
L'annonce a suscité un flot de commentaires, au Maroc comme à l'étranger, avec des interrogations sur le sort des nombreux binationaux, les motivations du projet ou son adéquation avec les besoins des jeunes.
Certains ont créé une page Facebook regroupant près de 4.000 membres. Le but est de dire leur "refus" d'un projet de loi "annoncé sans qu'il n'y ait eu le moindre débat", explique Abdellah, 24 ans, un des modérateurs.
D'autres mettent en corrélation le rétablissement du service militaire obligatoire et la prolifération de mouvements de protestation.
Après les mobilisations contre les retards de développement dans la région du Rif (nord), contre les pénuries d'eau dans le sud à Zagora ou le déficit d'emploi à Jerada (nord-est), les réseaux sociaux ont pris le relais en avril avec une campagne virtuelle de boycott économique.
Pour le politologue et universitaire Mohamed Chakir, le service militaire est un "outil pour dompter les jeunes qui ont été le moteur des mouvements de protestation".
Le service militaire obligatoire avait été instauré en 1966 --il était alors facultatif pour les filles--, un an après des émeutes sanglantes. Des dirigeants de l'Union nationale des étudiants du Maroc, considérés comme les meneurs de la fronde, avaient alors été appelés à servir dans la toute première promotion.
"Sens de la citoyenneté"
Le retour sous les drapeaux fait suite à la publication de plusieurs rapports alarmants sur la jeunesse. Le dernier, publié par le Conseil économique, social et environnemental du Maroc, un organisme consultatif officiel, s’inquiète du fossé "vertigineux" séparant les 11 millions de jeunes Marocains (de 15 à 34 ans) du reste de la population.
Décrochage scolaire, chômage, pauvreté, isolement social et sentiment de frustration exposent les jeunes aux risques de la délinquance, aux sirènes de l'extrémisme et à la tentation de quitter le pays dans l'espoir d'une vie meilleure, avance ce rapport.
Le but du service militaire est d'améliorer "l’intégration dans la vie professionnelle et sociale" des jeunes et de "renforcer" leur "sens de la citoyenneté", selon le communiqué du cabinet royal.
Mohamed, un photographe de 24 ans, en est convaincu: le service militaire "offrira aux jeunes une formation qui les aidera à s'accomplir et à intégrer le marché du travail", dit-il assis dans un parc au cœur de Rabat où se croisent musiciens, skateurs et couples d'amoureux.
Mais pour M. Chakir, cette solution "traduit un manque de confiance en la capacité de créer des emplois à court terme".
Dans ce pays de 35 millions d'habitants où les défaillances du système éducatif sont constamment pointées du doigt, beaucoup insistent sur le rôle de l'enseignement.
S'il pense que "le service militaire obligatoire reste une bonne idée", le sociologue Abdellatif Kidai préconise d'intégrer l'éducation civique dans l'enseignement.
Bassma, 18 ans, n'est pas favorable au service militaire obligatoire, une "mesure rétrograde" et "extrêmement coûteuse pour le gouvernement", selon elle.
"En tant que pays en développement, je pense qu'on pourrait consacrer ce budget à d'autres domaines, par exemple à l'éducation et à la santé", estime cette étudiante de l'université Mohammed-V à Rabat.
Le projet doit être débattu la semaine prochaine en commission à la Chambre des représentants. Les premiers conscrits pourraient être enrôlés dès la fin de l'année.
Avec AFP